Du sang sur Rome
proscrit ?
— Oui.
— Et personne n’a protesté ?
— Bien sûr que si. On a même envoyé une délégation à
Sylla. Mais si cela t’intéresse, il vaut mieux parler à mon père.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Titus Megarus. Moi, c’est Lucius.
— Et moi, Gordien. Oui, j’aimerais beaucoup rencontrer
ton père. A ton avis, comment le prendrait-il si tu ramenais un étranger à
dîner ce soir ?
Le garçon prit ses précautions.
— Ça dépend.
— Ça dépend de quoi ?
— On dirait que tu t’intéresses à la propriété de
Capito.
— En effet.
— De quel côté es-tu ?
— Pour Sextus, et contre Capito.
— En ce cas, mon père serait heureux de te recevoir.
— Parfait. C’est encore loin ?
— Tu vois la fumée à droite, derrière le rideau d’arbres ?
C’est là.
— Tout près, donc. Et la maison de Capito ?
— Un peu plus loin, de l’autre côté de la route, à main
gauche. On aperçoit le toit après le tournant.
— Très bien. Tu diras à ton père qu’un homme venu de
Rome désire lui parler. Un ami de Sextus Roscius. S’il peut m’accueillir à sa
table, je lui en serais très reconnaissant. Et doublement si je peux dormir
sous son toit ; un coin dans la grange me suffira. Le prendrait-il mal si
je lui proposais de l’argent ?
— Sans aucun doute.
— Alors j’éviterai. C’est ici que nos chemins se
séparent.
— Où vas-tu ?
— Rendre visite à ton nouveau voisin. C’est peut-être
inutile, mais j’aimerais avoir un aperçu des lieux, et peut-être de l’homme.
Je saluai et repartis au trot.
La maison où Sextus avait grandi et qu’il avait dirigée en l’absence
de son père était un exemple magnifique de villa en pleine campagne : trois
étages de belles pierres sous un toit de tuiles rouges, entourée de granges et
d’étables. On entendait au loin les cloches des troupeaux qui rentraient. Des
ouvriers traversaient les vignobles ; une armée de faux scintillait
au-dessus des pampres et des vrilles. Au soleil couchant, les lames avaient des
reflets couleur de sang.
Un homme aboyait des ordres à un groupe d’esclaves qui s’activaient
avec des bêches et des pelles. Sur leurs visages souillés de terre, on lisait l’humiliation
de ceux qu’on houspille depuis toujours.
Le maître continuait sans se décourager, allant et venant en
gesticulant. Il avait les cheveux blancs et le dos voûté. Par moments, je
distinguai son visage balafré, d’où ressortaient deux yeux à l’éclat
métallique.
J’approchai en tenant Vespa par la bride et frappai à la
porte. L’esclave grand et mince qui m’ouvrit murmura sans oser me regarder que
son maître était occupé à l’extérieur.
— Je sais, je l’ai vu dans le jardin. Mais ce n’est pas
lui que je cherche.
— Non ? Je regrette, mais ma maîtresse n’est pas
non plus disponible.
— Dis-moi, depuis combien de temps es-tu au service de
Capito ?
Il fronça les sourcils, comme s’il se demandait si ma
question était un piège.
— Pas depuis longtemps.
— Depuis que la maison a changé de mains, n’est-ce pas ?
En d’autres termes, tu étais compris dans la propriété.
— C’est exact. Mais, dois-je dire à mon maître…
— Non, écoute-moi : le père de ton ancien maître
avait deux esclaves à son service, Félix et Chrestus. Tu vois qui je veux dire ?
— Oui, prononça-t-il en examinant mes pieds, qui
semblaient le fasciner.
— Ils étaient en sa compagnie quand le vieil homme a
trouvé la mort. Où sont-ils à présent ?
— Ils sont revenus ici quelque temps pour servir Sextus
Roscius, tant qu’il était l’hôte de mon nouveau maître, Capito.
— Et après le départ de Sextus Roscius ? Les
a-t-il emmenés avec lui ?
— Pas du tout. Ils sont restés là.
— Et ensuite ?
— Je crois – bien entendu, je n’en suis pas
sûr…
— Que dis-tu ? Parle plus fort.
— Je crois que tu devrais voir avec mon maître.
— Je ne pense pas que Capito tienne beaucoup à s’entretenir
avec moi. Comment t’appelles-tu ?
— Carus.
Il sursauta et tendit l’oreille, comme s’il avait entendu un
bruit dans la maison. Mais cela venait du dehors. On entendait distinctement
Capito tempêter, bientôt rejoint par une grosse voix de femme. Cela ne pouvait
être que la maîtresse de maison. Apparemment, ils se disputaient devant les
esclaves.
— Encore une chose. Sextus Roscius
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