Du sang sur Rome
la mort
de Sextus Roscius ; j’ai pas réagi. « Un vieillard, ai-je fait, c’est
peut-être le cœur ? » Glaucia a éclaté de rire : « Si l’on
veut. Un couteau dans le cœur, plus précisément. » Et il a planté son
poignard sur la table. »
Mon hôte désigna ma place de son bras oblong. Il y avait une
entaille profonde dans le bois, juste à côté de ma coupe.
— Je devais faire une drôle de tête. Il a ri ; le
vin, sans doute. « Pas de panique, tavernier, a-t-il fait. J’y suis pour
rien. Ai-je l’air d’un assassin ? Et voici l’arme du crime, tout droit
sortie du cœur du mort. » Puis, il s’est fâché : « Me regarde
pas comme ça, je te dis ! J’ai rien fait. Je ne suis que le porteur de
mauvaises nouvelles pour la famille. » Là-dessus, il est parti en titubant
et a filé sur son char. On peut pas m’en vouloir si j’ai décidé de plus jamais
me lever matin…
Je contemplai la cicatrice laissée par la lame. Je crus la
voir s’obscurcir et se creuser de plus en plus sous mes yeux.
— L’homme venait donc prévenir Sextus Roscius du
meurtre de son père ?
— Pas exactement. Paraît même que Sextus ne l’a appris
qu’après les autres. C’est un voisin qui l’a rencontré par hasard et lui a fait
ses condoléances, sans pouvoir imaginer qu’il était pas au courant. Quand les
messagers de la maison Roscius sont arrivés le lendemain, tout le pays
connaissait la nouvelle.
— Mais qui venait-il prévenir, alors ? Son maître,
Magnus ?
— Magnus n’était pas là. Cette fripouille passe sa vie
à Rome. Il fréquente les bandes, dit-on, et travaille pour son aîné, le cousin
Capito. C’est sans doute à lui que Glaucia venait parler. Non que l’autre en
soit affligé ; les deux branches des Roscius ne se portent pas dans leur
cœur. La querelle remonte à loin.
Le glaive ensanglanté, les chevaux en pleine nuit, la
discorde familiale : la conclusion semblait évidente. J’attendis que mon
hôte la formule, mais il se remit à frotter son comptoir.
— En ce cas, dis-je, personne ne peut croire
sérieusement que Sextus Roscius a tué son père.
— Justement, c’est là où je comprends plus rien. Car
chacun sait, du moins dans la région, que ce sont les hommes de Sylla qui ont
tué le vieux Roscius.
— Comment ?
— Le vieillard était proscrit. Décrété ennemi de l’État.
Sur les listes.
— Non, tu dois faire erreur. Tu confonds avec une autre
histoire.
— C’est vrai qu’y en a eu d’autres par ici, avec des
propriétés à Rome, qu’on a mis sur les listes. Ils y ont laissé leur tête, ou
se sont enfuis. Mais je ne confonds rien du tout. Tout le monde sait que Sextus
était proscrit.
« Mais c’était un partisan de Sylla », faillis-je
m’exclamer.
— C’est comme ça, continua le tavernier. Des soldats
sont arrivés de Rome quelques jours plus tard, ils l’ont proclamé publiquement :
Sextus Roscius père était déclaré ennemi de l’État, il avait trouvé la mort en
tant que tel, ses propriétés seraient confisquées et vendues aux enchères.
— Mais en septembre, les proscriptions étaient
terminées depuis des mois !
— Cela signifiait-il la fin des ennemis de Sylla ?
Ne pouvait-il pas en éliminer un de plus ?
Je regardai ma coupe vide.
— As-tu entendu cette proclamation toi-même ?
— Parfaitement. Ils ont commencé par Ameria, puis ils l’ont
répétée ici, étant donné les liens entre nos deux villes. Cela a choqué, bien
sûr, mais les guerres ont fait tant de victimes, tant de morts ! Je peux
pas dire qu’on ait versé une larme pour le vieux.
— Si ce que tu dis est vrai, Sextus Roscius est
déshérité.
— Je le crains. On l’a plus revu depuis. Le bruit court
qu’il est à Rome, chez la protectrice de son défunt père. Enfin, bref, l’histoire
est plus compliquée qu’il n’y paraît.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Et qui s’est porté
acquéreur des terres du vieux Roscius ?
— Treize fermes en tout. Eh bien, Capito devait être en
première ligne, puisqu’il a pris les trois meilleures, dont l’ancienne maison
de famille. On dit qu’il a expulsé le fils Roscius lui-même. Il l’a jeté
dehors. Mais quoi ? Il est chez lui, maintenant, de plein droit.
— Et le reste ?
— C’est un riche gars de Rome qui a tout racheté ;
son nom m’était inconnu. Il n’a sans doute jamais mis les pieds ici ;
encore un de ceux
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