Du sang sur Rome
tant et si bien que je me retrouvai à moitié
allongé sur le divan de la terrasse. Dans le péristyle en bas, les femmes et
les enfants s’étaient réunis. La fille de Titus chantait aux accents de la
lyre. De doux échos montaient jusqu’à nous, portés par la brise du soir. Lucius
nous écoutait en silence, à l’invitation de son père.
J’étais si courbatu que je pouvais à peine me mouvoir. Une
coupe de vin chaud à la main, je luttai contre le sommeil en contemplant cette
vallée paisible où se cachaient de terribles secrets.
— C’est Mallius Glaucia qui est entré chez moi hier
après-midi ; les griffes du chat ne laissent aucun doute. Celui-là même
qui a chevauché toute la nuit pour prévenir Capito du meurtre de Sextus
Roscius. Sans doute obéissait-il au même maître.
— Glaucia ne fait rien sans l’assentiment de Magnus. Il
est comme ces marionnettes dans un théâtre d’ombres.
Je fermai les yeux et m’imaginai avec Bethesda à mes côtés.
Tiède comme la brise du soir, plus douce que les nuages diaphanes qui errent au
clair de lune…
Titus buvait son vin à petites gorgées.
— Sextus est donc à Rome et se retrouve accusé du
meurtre de son père ? Je l’ignorais ; je suppose que je devrais
passer plus de temps en ville pour bavarder. Et tu es venu démêler le faux du
vrai ? Je te souhaite bonne chance. Tu en auras besoin. (Il avait le
regard rivé sur la fenêtre éclairée de son voisin.) Magnus et Capito veulent s’en
débarrasser à tout prix. Ils n’auront de cesse qu’il soit mort.
Je regardai les étoiles et ne songeai plus qu’à dormir. Mais
qui disait que mon hôte serait aussi loquace au matin ?
— Raconte-moi, Titus Megarus…
Entre le vin et la fatigue, je n’avais plus la force d’articuler.
— Te raconter quoi, Gordien ?
— Tout ce que tu sais sur la mort du vieux Roscius, sur
la querelle de famille, sur les événements qui ont suivi.
— Un vrai scandale, gronda-t-il. Tout le monde sait qu’il
y a quelque chose de pourri dans cette affaire, mais personne n’y peut rien.
— Commençons par le commencement. A quand remonte la
brouille entre Sextus et ses cousins ?
— Ils en ont hérité à la naissance. Ils sont tous trois
issus du même grand-père : le père de Sextus Roscius était l’aîné de trois
garçons. Naturellement, à la mort du grand-père, presque toutes les propriétés
sont allées à l’aîné. Tu connais la chanson, parfois on trouve un règlement à l’amiable
avec le reste de la famille, sinon, on coupe les ponts. Qui sait les détails
sordides de cette succession ? Ce qui est sûr, c’est que la querelle s’est
transmise à la seconde génération. Capito et Magnus n’ont cessé de combattre le
vieux Sextus, afin de récupérer tout ou partie des biens familiaux. Et d’une
manière ou d’une autre, ils ont réussi. A Ameria, quelques naïfs pensent que la
Fortune leur a souri. Mais il suffit d’avoir un peu de jugeote pour comprendre
qu’ils ont trempé les mains dans le sang, même s’ils ont eu la prudence de se
les laver ensuite.
— D’accord. Le père du vieux Sextus hérite de la
fortune familiale et laisse les miettes aux autres. Sextus est son héritier
direct – un aîné lui aussi ?
— Le seul enfant mâle. Les Roscius ne sont pas
prolifiques.
— Bien. Le vieux Sextus hérite, au désespoir des
cousins pauvres, Magnus et Capito. Etaient-ils si pauvres que ça ?
— Le père de Capito s’est accroché toute sa vie à une
ferme, dont il tirait de modestes revenus. C’est Magnus qui a le plus souffert.
Son père a perdu l’unique ferme qu’il possédait, et s’est suicidé. C’est
pourquoi Magnus est parti à la ville, pour faire son chemin.
— Des hommes aigris. Si Magnus est allé apprendre la
vie à Rome, le crime aura été sa première leçon. Ensuite, dis-moi si je me
trompe : le vieux Sextus se marie deux fois, la première union engendre
notre ami Sextus. A la seconde, Gaïus naît, tandis que son épouse meurt en
couches. Le jeune Sextus prend la responsabilité des terres, tandis que le père
s’installe à Rome avec Gaïus. Là-dessus, il y a trois ans, à la veille du
triomphe de Sylla, Sextus fait venir son père et son frère à Ameria, et durant
leur séjour ici, le petit frère meurt empoisonné. Qu’en ont dit les bonnes
langues d’Ameria ?
— Gaïus nous était à peu près inconnu, même si tout le
monde pensait qu’il était
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