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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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du
plaisir qui m’est refusé, ça je ne l’accepte pas ! Chrysogonus était
esclave, et il a obtenu ce qu’il voulait. Sylla a obtenu ce qu’il voulait avec
Chrysogonus, avec Valeria et avec toutes ses nombreuses conquêtes. Parfois, j’ai
l’impression que chacun s’y retrouve, sauf moi qui reste exclu. La seule
personne qui me désire n’est autre que Sylla – c’est une plaisanterie
des dieux ! (Il ne riait pas du tout.) Sylla m’aime et ne m’aura pas, j’en
aime un autre, qui ignore jusqu’à mon existence. Gordien, as-tu jamais aimé
sans être payé de retour ?
    — Bien entendu. Comme tout le monde.
    Rufus regardait fixement sa coupe sur la table. Il me
semblait que la jeune Roscia ne méritait pas que l’on souffre pour elle ;
il est vrai que je n’avais plus seize ans.
    — Cela crève les yeux ! En ont-ils encore pour
longtemps ?
    — Cæcilia est-elle au courant ? Ou Sextus Roscius ?
    — De ce que font les tourtereaux ? Certainement
pas. Cæcilia vit sur un nuage, et je préfère ignorer ce qui se passe dans la
tête de Roscius. Je suppose qu’il manifesterait un semblant d’indignation s’il
voyait sa fille faire des cabrioles avec un esclave.
    J’attendis un moment, évitant de l’accabler de questions. Je
réfléchissais au danger que courait Tiron. Rufus était jeune et en colère. Il
était de haute naissance, et Tiron commettait l’impensable chez une personne de
la noblesse. D’un mot, Rufus pouvait le détruire.
    — Et Cicéron, le sait-il ?
    Rufus me regarda droit dans les yeux, d’un air plus qu’étrange.
    — Cicéron ? chuchota-t-il. (La crise passa ;
il sembla soudain très las.) Non, bien sûr que non. Il ne remarque pas ce genre
de choses. Il est au-dessus des passions.
    Rufus se laissa retomber sur sa couche.
    — Je comprends, tu sais. Aussi étonnant que cela te
paraisse, je comprends. Il est vrai, Roscia est une belle fille, mais considère
sa situation. Tu n’aurais aucun moyen de la courtiser dans l’honneur…
    — Roscia ? (Il roula les yeux au ciel.) Qu’ai-je à
faire de Roscia ?
    — Je vois, dis-je, ne voyant rien du tout. Mais alors,
c’est Tiron que tu…
    Tout se compliquait.
    Soudain je compris. La révélation ne venait pas de ses
paroles, ni de son expression, mais d’une inflexion isolée, de souvenirs que je
rapprochai dans ma mémoire.
    Comme c’était absurde et touchant à la fois ! Comment
rester insensible à cette souffrance ? Cicéron – rassis,
tatillon, hypocondriaque – était bien la dernière créature à pouvoir
répondre au désir de Rufus ; le garçon ne pouvait plus mal choisir l’objet
de ses vœux. Rufus, si jeune, formé à l’idéalisme grec, se voyait évidemment en
Alcibiade auprès de son Socrate. Rien d’étonnant à ce que le plaisir qu’éprouvaient
en cet instant Tiron et Roscia le mît hors de lui ; lui qui brûlait d’une
passion inavouée, et de toute l’énergie contenue de la jeunesse.
    Je n’avais malheureusement aucun conseil à lui donner. Je
frappai dans mes mains et fis signe à la servante de nous rapporter du vin.

6
    Le propriétaire des écuries ne fut pas content de voir
arriver un cheval de ferme au lieu de sa chère Vespa. Une poignée de pièces et
l’assurance qu’il serait largement dédommagé l’apaisèrent. Quant à Bethesda, m’informa-t-il,
elle avait boudé pendant quarante-huit heures, cassé trois plats à la cuisine,
bâclé ses travaux de couture et poussé le cuisinier en chef à la crise de
nerfs. Conformément à mes recommandations, il avait interdit qu’on la batte
malgré les supplications de son régisseur. Il cria à un esclave d’aller la
chercher.
    — Bon débarras, ajouta-t-il, tout en ne pouvant la
quitter des yeux quand il la vit traverser la cour avec fierté.
    Je fis l’indifférent ; elle joua la froideur. Elle tint
à s’arrêter au marché pour acheter des provisions pour le soir. Pendant ce
temps, je m’imprégnais des odeurs qui flottaient dans Subure, heureux d’être de
retour chez moi. Même le tas d’excréments dans notre raidillon ne put altérer
mon humeur.
    Scaldus, l’esclave des écuries, était adossé à la porte. Au
début, je crus qu’il dormait. Mais le colosse bougea et se leva d’un bond.
Voyant que c’était moi, il me fit un sourire niais. Il s’était relayé avec son
frère, m’expliqua-t-il, et personne n’était venu. Je le congédiai d’une pièce
et le vit s’éloigner

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