Du sang sur Rome
Même s’il gagne le
procès, ton précieux « Pois Chiche » finira la tête sur une pique. Ne
me dis pas qu’il existe un seul avocat à Rome prêt à cracher à la figure de
Sylla ! Et s’il existe, il est bien trop bête pour assurer correctement ma
défense…
Rufus et Tiron étaient exaspérés : comment pouvait-on
traiter Cicéron de la sorte, leur Cicéron ? Mais Sextus n’avait pas tort.
C’était une cause dangereuse, sinon perdue. J’avais reçu des menaces de mort
(que j’avais passées sous silence exprès sous le toit de Cæcilia). S’ils
avaient épargné Cicéron, c’est qu’il n’était pas en première ligne dans l’enquête,
et qu’il avait des relations plus haut placées que moi.
Reste que les paroles de Roscius manquaient de sincérité.
Certes, son cas était désespéré. Mais qu’est-ce que cela pouvait bien faire,
puisque l’autre solution était une mort hideuse ? En se battant, en nous
armant des preuves pour démontrer son innocence et la culpabilité de ses
persécuteurs, il avait tout à gagner : sa vie, son équilibre mental,
peut-être même la révocation de la proscription et la restitution de ses
terres. Avait-il touché le fond du désespoir pour être paralysé à ce point ?
Un homme peut-il être démoralisé au point de souhaiter la défaite et la mort ?
— Sextus Roscius, aide-moi à comprendre. Tu apprends la
mort de ton père peu après l’événement. La dépouille est acheminée à Ameria et
tu procèdes aux rites funéraires. Sur ce, des soldats arrivent et annoncent qu’il
a été proscrit, qu’il s’agit d’une exécution et non d’un meurtre, que ses
propriétés sont confisquées. Tu es chassé avec ta famille et tu te réfugies
chez des amis au village. Une vente aux enchères a lieu à Rome ; Capito,
ou, plus vraisemblablement, Chrysogonus rachète les biens.
— Connaissais-tu alors les assassins de ton père ?
— Non.
— Tu devais bien avoir des soupçons ?
— Oui.
— Bon. Une fois Capito dans la place, il t’invite à
revenir et t’offre une masure dans un coin du domaine. Comment as-tu pu
supporter une telle humiliation ?
— J’étais impuissant. La loi est la loi. Titus Megarus
et les représentants des notables étaient partis en délégation auprès de Sylla.
Il ne me restait plus qu’à attendre.
— Pour finir, Capito t’expulse définitivement. Pour
quelle raison ?
— Je crois qu’il ne me supportait plus. Peut-être se
sentait-il coupable.
— Mais tu avais compris, sans l’ombre d’un doute, que
Capito était impliqué dans le meurtre de ton père. L’as-tu menacé ?
Il détourna les yeux.
— Nous n’en sommes jamais venus aux mains, malgré des
discussions violentes. Je l’ai prévenu qu’il était stupide de s’installer dans
ma villa, qu’on ne lui permettrait jamais de la garder. Il répliqua que je n’étais
qu’un mendiant, que je devrais lui baiser les pieds pour l’aumône qu’il me
faisait. (Ses mains se crispèrent si fort sur les accoudoirs que les jointures
étaient toutes blanches.) Je crèverais avant de retrouver mes terres, m’assura-t-il.
J’avais de la chance d’être encore en vie. Il m’a chassé ; c’est ce qu’on
aurait pu croire ; à vrai dire, c’est moi qui ai fui ! Même chez
Titus j’avais peur, je les sentais qui m’observaient la nuit venue. C’est
pourquoi j’ai gagné Rome. Mais je n’étais pas plus en sécurité dans les rues.
Cette pièce est mon seul refuge. Mais on ne me laissera pas en paix !
Jamais je n’aurais imaginé qu’on me traînerait au tribunal. Ne voyez-vous pas
qu’ils sont les plus forts ? Qui sait ce qu’Erucius va encore inventer ?
Au bout du compte, ce sera sa parole contre celle de Cicéron. Quel parti
prendront les juges, d’après vous, si l’on attente au dictateur ? Il n’y a
rien à faire !
Brusquement, il fondit en larmes.
Cæcilia prit l’air dégoûté. Sans mot dire, elle se leva et se
dirigea vers la sortie. Je fis signe à Rufus de rester.
Roscius se tenait la tête entre les mains.
— Tu es un homme étrange, commençai-je. Tu es
misérable, et pourtant, tu n’inspires pas la pitié. Tu frôles une mort horrible ;
à ta place, d’autres diraient n’importe quoi pour se sauver. Toi, tu nous
refuses la vérité qui seule peut t’aider. Maintenant que nous savons les faits,
tu n’as plus aucune raison de mentir. Tu me fais douter de mes propres
instincts. Je suis
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