Du sang sur Rome
déconcerté, comme un chien d’arrêt qui flaire un renard dans
un terrier de lapin.
Il releva lentement la tête. Il était défiguré par la haine,
la méfiance, la peur.
— Parler avec toi m’épuise. J’en ai la migraine. J’espère
que Cicéron a la tête plus solide. Encore une chose, dis-je en faisant mine de
partir, un détail. À propos de cette jeune prostituée, Elena. Tu vois qui je
veux dire ?
— Évidemment. Elle a vécu à la maison quand Capito s’est
installé.
— Quelles étaient les raisons de sa présence ?
Il prit le temps de réfléchir. Au moins, les larmes avaient
cessé.
— Magnus et Glaucia sont allés la chercher à Rome. Je
crois que mon père l’avait rachetée auparavant, et laissée à la garde du
tenancier du lupanar. Après la vente de ses biens, Magnus a fait valoir ses
droits sur elle.
— Elle était enceinte, si j’ai bien compris.
— C’est exact.
— De qui ?
— Quelle question ! Ce n’était qu’une catin, après
tout.
— Certes. Et qu’est-elle devenue ?
— Comment veux-tu que je le sache ?
— C’est-à-dire, après son accouchement.
— Comment veux-tu que-je le sache ? répéta-t-il en
colère. Que ferais-tu d’une esclave et de son nouveau-né, si tu étais Capito ?
Voilà longtemps qu’on les a vendus, tous les deux !
— Non. L’un d’eux au moins est enterré près de la tombe
de ton père à Ameria.
Je l’observais attentivement, mais n’obtins pas de réponse.
Nous rejoignîmes en silence les appartements de Cæcilia.
Tiron traînait des pieds, de plus en plus anxieux à mesure
qu’on s’éloignait. J’étais trop obsédé par Sextus Roscius pour m’occuper de
lui. Il fallait tout de même lui trouver une excuse pour le laisser rejoindre
Roscia.
Tiron prit les devants. Il s’arrêta net et se tâta.
— Par Hercule, j’ai égaré mon stylet ! J’en ai
pour une minute – à moins que je l’aie oublié lors de l’entretien
avec Roscius, et qu’il me faille le chercher ailleurs.
— Tu le tenais à la main, observa Rufus avec une pointe
d’agacement.
— Ce n’est pas grave, Tiron, vas-y. Prends ton temps ;
le soleil tape trop fort pour retourner chez Cicéron. Je crois que je vais
abuser de l’hospitalité de notre hôtesse et me rafraîchir au jardin en
compagnie de Rufus.
L’eunuque Ahausarus vint nous expliquer que Cæcilia était
épuisée après cette confrontation. Elle délégua ses serviteurs, qui apportèrent
des boissons. Rufus était contrarié et taciturne. Je revins sur la fête que
donnait Chrysogonus le lendemain.
— Si vraiment cela t’ennuie d’y aller, ne te force pas.
Je pensais seulement que tu pourrais m’introduire, peut-être par l’entrée de
service…
— Oui, oui, fît-il comme si j’interrompais une rêverie.
J’irai. Je te montrerai la maison en partant ; c’est à côté.
Il appela un serviteur et redemanda du vin. Déjà, il me
semblait qu’il avait trop bu. Il vida sa coupe d’un trait et en réclama une
autre.
Je fronçai les sourcils.
— De la modération en toutes choses, Rufus : une
maxime que ne désavouerait pas Cicéron.
— Cicéron ! répéta-t-il comme si c’était une
malédiction, puis sur un ton moqueur : Cicéron !
Il quitta son tabouret pour aller s’affaler sur un divan.
Une douce brise faisait frissonner le feuillage desséché des papyrus. Rufus
ferma les yeux. Il n’était qu’un enfant, malgré son rang et ses manières, un
garçon engoncé dans sa tunique, semblable à celle de Roscia, que Tiron venait
peut-être d’arracher.
— Que font-ils en ce moment ? demanda Rufus
brusquement, en ouvrant l’œil pour observer ma surprise.
Je feignis de ne pas comprendre et haussai un sourcil
interrogateur.
— Tu sais bien de qui je parle. Tiron met un temps fou
à retrouver son stylet. Son stylet !
Il rit de l’association d’idées, d’un rire bref et amer.
— Tu étais donc au courant ?
— Évidemment ! Depuis la première fois qu’il est
venu avec Cicéron. Et à chaque fois depuis. Je me demandais si tu avais
remarqué. Tu aurais été bien médiocre enquêteur autrement. Cela saute aux yeux.
Il avait l’air fâché. Il était vrai que Roscia était une
belle fille. Moi-même, je ressentais une pointe de jalousie. Je tentai de le
consoler.
— Ce n’est qu’un esclave, tu sais, son avenir n’est
guère réjouissant…
— Justement ! Qu’un simple esclave puisse jouir
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