Duel de dames
de nous quitter.
Des chambrières apportèrent une crédence garnie de
sucreries, une aiguière de moretum et une fontaine de lait miellé.
— Épître au Dieu d’Amours. Voilà un
titre joliment tourné et qui fera parler, sourit Isabelle en buvant son vin
préféré.
— Il fait déjà parler, répondit Christine qui
buvait du lait. Messire Jean de Montreuil, sans l’avoir seulement vu, parle
de moi comme d’une femme ignorante d’entendement et de sentiment léger.
— Messire Jean de Montreuil ? N’est-il
pas le secrétaire-ambassadeur du roi et prévôt de Lille, qui répand ses
principes aussi étriqués que sa personne ?
— Celui-là même, madame.
— Alors, j’avais raison, nous allons nous
amuser.
— Messires de Berry et d’Orléans me l’ont
commandé, sourit Christine avec des étoiles dans les yeux.
— Et beaucoup d’autres suivront, je n’en
doute pas.
Elles devisèrent de leurs enfants tout en picorant
des sucreries et en buvant. Elles avaient des points communs à foison. Ainsi, la
fille de Christine avait pris le voile à l’abbaye de Poissy, où était Marie de Valois.
Elles se donnèrent mutuelles nouvelles des novices. De même, la poétesse avait
son fils aîné en Angleterre tout comme l’était l’aînée des filles d’Isabelle, tous
deux étaient retenus par Henri IV. Le renom de Christine de Pisan était
parvenu au comte de Salisbury qui avait un fils, Thomas, du même âge que Jean de Castel.
Trois ans auparavant, le seigneur anglais lui avait proposé de les élever
ensemble, et de leur donner une bonne éducation de chevalier. Las, le comte de
Salisbury avait été massacré par les milices de l’usurpateur Henri de Lancastre
et, depuis, ce dernier disait vouloir garder à sa cour « ce bel et
gracieux et bien chantant » jeune homme. Ainsi que la reine, elle se
rongeait d’inquiétude et d’impatience. Puis elles parlèrent de santé, du
dauphin Charles qui toussait beaucoup, du fils cadet de Christine qui
dépérissait. Isabelle lui promit de faire visiter son fils par le médecin du
Dauphin. Christine lui parla alors des difficultés d’être femme seulette, des
ragots dont elle était victime, propagés sans doute par ses créanciers à qui
elle faisait de pénibles procès depuis la mort d’Étienne de Castel.
— Imaginez-vous, haute dame, que l’on me dit
de vie dissolue et que l’on me prête des amants. Moi qui n’aime que la solitude
de l’écriture et qui n’aimerai que mon époux. Ainsi, ils médisent et ne
remboursent pas leurs dettes.
Isabelle s’avisa de leurs destins parallèles. La
reine était esseulée quand le roi était « absent » : point de
timonier à la barre du bateau pris dans la tempête. Reine mal clamée, elle
avait réintégré son hôtel de la Pissotte avec sa mesnie, le temps de faire
taire les rumeurs qui l’accusaient de mœurs dépravées et d’avoir moult amants. Il
est vrai que l’hôtel Barbette, qu’elle avait voulu comme nid d’amour, était
devenu un lieu de rendez-vous galants. Les jeunes dames de Berry avaient fait
quelques émules, certaines femmes y recevaient leurs amoureux, que la rumeur s’empressait
d’attribuer à la reine. Isabelle avait laissé faire bien imprudemment.
Elles se quittèrent en s’embrassant avec amitié, se
promettant de se soutenir l’une l’autre. Isabelle lui fit bailler deux cents
écus pour l’Épître au Dieu d’Amours, avec la promesse qu’elle parlerait
en faveur de la restitution de Jean de Castel et de sa propre fille.
*
En ce début de siècle, Isabelle avait entrepris de
rénover sa réputation. Le roi était de retour en santé, une embellie qui lui
permettait de se montrer souvent avec la reine, se témoignant affection et
amour. De plus, Louis d’Orléans était fort occupé, bien qu’il ne fût point très
loin.
La rémission de Charles avait permis à la duchesse
d’Orléans de mettre un terme à son exil. Toutefois elle avait refusé de
réhabiliter son hôtel de la Pute-y-Muse, elle voulait, comme la reine, avoir
son « petit séjour ». Charles VI lui avait offert l’hôtel des
Tournelles qui comprenait en sa plaisance des jardins, volières, arbres
fruitiers et belles fontaines. Cette demeure singulière devait son nom aux
multiples tourelles qui l’ornaient. Elle était sise en face de l’enceinte de l’Hôtel
solennel des Grands Ébattements, dans la rue Saint-Antoine, au Marais.
Charles VI, qui était
Weitere Kostenlose Bücher