Duel de dames
était incapable d’appréhender
la gravité de la situation. La reine et le duc de Berry avaient sommé le
Parlement de ne plus intervenir à l’avenir dans la querelle des princes et
avaient multiplié leurs efforts de médiations.
Les circonstances étaient alarmantes. Mais, en
réalité, Orléans et Bourgogne répugnaient à en venir aux mains, seul leur
immense orgueil les empêchait de reculer d’un pas, malgré les difficultés qu’ils
avaient à tenir leurs soudards qui vivaient d’abondance en pillant les
Parisiens. L’affrontement risquait de se retourner contre eux et de dégénérer
en une émeute populaire dont ils perdraient le contrôle. Ils étaient dans une
impasse. Aussi ne firent-ils aucune difficulté à s’en remettre aux décisions d’un
Grand Conseil solennel, présidé par la reine et le duc de Berry, le
14 janvier 1402.
On y lut les termes d’un long pacte de loyauté, comme
le commandait leur parenté. Pour ménager les princes, il fut décidé que
personne ne porterait la responsabilité de la conjoncture, car ils avaient été
trompés par les mauvais rapports de calomniateurs. Il leur fut ordonné de ne
pas en venir aux armes sans en avertir l’autre, et ils devraient attendre deux
mois pleins afin qu’il en soit délibéré en Conseil royal pour conciliation. Et
si, malgré tout, ils enclenchaient des hostilités, ils devaient s’engager à le
faire hors des villes et du domaine royal, et n’auraient aucun soutien du roi
et autres princes. Orléans et Bourgogne furent invités à jurer, publiquement et
distinctement, de renoncer à leurs inimitiés et ressentiments, et de travailler
ensemble pour le bien du royaume. Ils jurèrent et se donnèrent une fraternelle
accolade.
Leurs troupes, de part et d’autre, furent
congédiées, et, afin qu’on les vît bien réconciliés, ils chevauchèrent ensemble
jusqu’au Châtelet, pour rassurer les Parisiens. Puis, ils soupèrent à l’hôtel
de Nesle, chez le duc de Berry, en grand festoiement.
La paix étant restaurée au sein de la famille
royale, Bourgogne s’en était allé tranquillement à Arras marier son fils cadet,
Antoine, à la fille du comte Waleran de Saint-Paul.
L’incorrigible Louis d’Orléans en avait profité
pour se faire nommer « souverain gouverneur des aides et des finances du
gouvernement ». Ayant obtenu la haute main sur le Trésor royal, il leva
une grande taille [86] ,
justifiée par un soi-disant péril anglais.
Le Bourguignon entra dans une rage folle et jugea
Orléans traître au pacte juré : « L’argent de l’impôt sera versé au
crédit de mon neveu, pour couvrir ses largesses et ses débauches, sans qu’un
seul écu n’entre en caisse royale, alors que le peuple est déjà exsangue. »
Il réunit à nouveau ses troupes et marcha sur la capitale pour dénoncer les
exactions fiscales d’Orléans. Il se proposait de les abolir par la force s’il
le fallait.
Isabelle fut affolée de cette nouvelle menace
guerrière. Elle ne doutait pas que l’oncle de Bourgogne serait accueilli comme
un libérateur et que son amant en porterait tout le discrédit.
— Qui crois-tu que la population va acclamer ?
Le leveur d’impôts ou celui qui les abolit ? lui dit-elle. Paris s’agite, il
a fallu multiplier les hommes du guet. Veux-tu retourner contre toi la colère
de la populace ?
— Et pourtant les caisses sont vides, s’irrita-t-il.
Toutefois, Louis d’Orléans l’entendit, et il fit
annoncer à tous les carrefours de la capitale que, aux noms du roi, de la reine
et du duc d’Orléans, le nouvel impôt ne serait pas perçu, et les hérauts
engagèrent chacun à prier pour la santé de Charles VI.
Orléans se concilia ainsi un mouvement de faveur
populaire, coupant l’herbe sous le pied de son oncle.
Isabelle respira mieux et fit enfin célébrer les
noces de son frère Louis le Barbu avec Anne de Bourbon, veuve du fils
du duc de Berry, Jean de Montpensier, qui était mort en 1401, dans sa
trente-neuvième année. La perte de son dernier fils avait tant affligé le Camus
qu’il se fit remarquer par son absence lors du remariage de sa bru. En revanche,
le roi, qui vivait alors une courte trêve, honora de sa présence la cérémonie, mais
l’on douta de son jugement quand il promit à son frère de Bavière la somme
inconsidérée de cent vingt mille francs or. Le royaume était déjà fort endetté
et menaçait ruine.
L’énormité de la dotation royale
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