Duel de dames
ne crois-tu pas ?
Isabelle se sentit rougir. Que savait sa
belle-sœur ?
— Il est vrai que tes fils sont de bonne
lignée et gracieux d’apparence.
— Après trois garçons, il me vient l’envie qu’il
me fasse une petite princesse. Mais, pour cela, il nous faudrait échanger la
semence de nos maris, dit Valentine en éclatant de rire.
La reine, de plus en plus mal à l’aise, s’efforça
de partager son hilarité, alors que Louis d’Orléans s’approchait des deux
femmes.
— Pourrais-je rire avec vous, belles dames ?
— Pourquoi ? persifla Valentine. Ta
petite Mariette d’Enghien ne t’amuse déjà plus ?
Et elle s’éloigna vivement dans un nouvel éclat de
rire qui sonnait faux. Isabelle comprit que Valentine endurait les infidélités
de Louis, qu’elle aimait. Elle était orgueilleuse et souffrait comme une damnée,
sa sérénité n’était que représentation.
— Danserons-nous, très noble reine ? proposa
Louis d’Orléans, avec de l’ironie dans le regard.
— Nous ne danserons pas, chevalier trompeur
de l’Ordre de la Rose, lui répondit-elle en lui tournant le dos à son tour.
Elle s’éloigna, emplie de fureur. Elle avait eu une
irrésistible envie de le gifler comme naguère.
*
Quelques mois plus tard, Mariette d’Enghien se
déclara enceinte. Valentine annonça publiquement que l’enfant appartenait à son
époux de droit et qu’elle le prendrait dans sa mesnie. Le seigneur de Canny
demanda une compensation pour le grand meschef qui lui était fait, et le
nourrisson à venir. La duchesse paya et demanda au mari qu’il tienne son épouse
adultère hors de sa vue, jusqu’à la naissance. Louis d’Orléans se trouva
satisfait de l’arrangement, il ne se souciait plus de sa maîtresse, mais de
nouveau de la reine avec laquelle il se querellait plus que jamais.
Ils se chamaillèrent tant que, en juin 1402, elle
se retrouva grosse à son tour de leurs égarements passionnés.
22
Le pacte abusé
Il se fit d’effroyables coups de tonnerre. La foudre tomba
sur l’Hôtel, consuma les magnifiques rideaux du lit de la reine et sortit par
la cheminée. Ces bouleversements de la nature remplirent la souveraine d’un
effroi mortel. Dans son épouvante, elle envoya des offrandes à plusieurs
églises du royaume.
Chronique du religieux de Saint-Denys
Si l’on fêtait la rose, ses pétales ne jonchaient
pas les pavés de Paris, et les Parisiens tremblaient des humeurs de leurs
princes. Il y avait menace de guerre civile, Orléans et Bourgogne s’armaient. Le
frère du roi avait su attiser le courroux de Charles VI contre Philippe le Hardi :
la promulgation de la soustraction d’obédience était de son fait, et le roi, contraint
de se rétracter, s’était humilié à devoir la restituer. Le Saint Empire avait
deux empereurs, c’était encore le fruit des intrigues de son oncle. Le
chancelier du roi, l’éminent Guillaume de Cousinot, l’avait soutenu et
avait fait signer à Charles VI un édit qui donnait tout pouvoir à Orléans
lors de ses absences : « Par la volonté du roi, lui occupé en maladie,
son bien-aimé frère le duc d’Orléans aura naturelle prééminence et autorité du
gouvernement, et sera représentant de l’État royal qu’il tient en grande
hautesse. »
Le duc de Bourgogne avait alors porté l’affaire
devant le Parlement : « Pour Dieu, avisez que le bien public ne soit
pas gouverné ainsi qu’il l’est présentement par mon neveu, car c’est grande
pitié. Quant à nous, nous nous y emploierons volontiers, de bon cœur, et de
toute notre puissance. » Le Parlement s’était rangé à son avis et avait
fait opposition à l’édit du roi qui était encore « empêché ».
Furieux de cette révocation du Parlement qu’il
jugeait arbitraire, en dépit de la volonté royale, Orléans avait massé des
troupes autour de Paris qui épuisaient de leurs rapines les villageois. Bourgogne
fit mieux : il entra dans la capitale et défila en vainqueur à la tête de
milliers d’hommes, ses fils à ses côtés, dont Jean de Nevers, plus
belliqueux que jamais. Devant ce déploiement de forces, Orléans pénétra à son
tour dans la ville à la tête de son ost.
Deux mois durant, les belligérants étaient restés
à s’observer, campant sur leurs positions : Bourgogne tenait le quartier
des Halles, autour de son hôtel d’Artois ; Orléans, le Marais, près de son
hôtel des Tournelles.
Le roi, en langueur,
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