Duel de dames
singularisa le
prince de Bavière qui devint impopulaire. Il était l’Allemand venu s’enrichir
dans le royaume de France, avec la complicité de sa sœur, la reine. Isabelle, lourdement
enceinte, fut prise d’une grande lassitude, elle s’épuisait à faire sans cesse
front.
Le 22 février 1403, la reine accoucha d’un
fils, appelé Charles, en mémoire des deux premiers dauphins. Isabelle était si
exténuée de ce onzième accouchement qu’elle n’entendit pas les cloches qui
célébraient la naissance d’un fils de roi, ni la liesse populaire sous ses
fenêtres, et elle se désintéressa des affaires de l’État qui étaient à
désespérer. Charles VI était retombé en grande maladie, il avait blessé
plusieurs de ses chevaliers et devait être étroitement surveillé pour ne pas
attenter à sa propre existence. Depuis dix ans, la folie s’emparait de son
époux avec des rémissions de plus en plus brèves, et cela allait en empirant. Elle
n’avait plus aucune illusion, la chose était irrémédiable, et les retours en
santé de Charles VI lui laissaient l’esprit de plus en plus troublé. Il
était à craindre que ladite maladie finisse par l’emporter.
*
La vie des princes était suspendue, comme toute
autre, à la volonté de Dieu. La nouvelle de la mort de Jean-Galéas Visconti, duc
de Milan, arriva à Paris et plongea Valentine dans la désolation. Il
laissait deux fils mineurs, peu aptes à contenir l’agitation des villes
conquises par leur père.
— Il n’aura pas porté la couronne d’Italie, comme
je ne porterai jamais celle de France. Il a dû expirer bien navré, se
lamentait-elle.
— Qu’allait-il emporter dans son tombeau ?
lui rétorqua Capucine. Nous naissons nus et nous partons de même, de quelque
grandeur que nous soyons. Et je ne vous consolerai pas de ce deuil-là, belle
dame, votre père était trop méchant homme.
Ces propos provoquèrent chez Valentine une
explosion de larmes. Le duc d’Orléans la consola et lui promit de lever une
armée au secours de ses jeunes beaux-frères. Il était surtout inquiet des
risques de voir la puissance milanaise s’effriter, car son mirage italien le
dominait toujours. Dans ce dessein, Louis s’allia à son cousin d’Anjou.
Louis II d’Anjou avait épousé, le 2 décembre 1400,
une princesse aragonaise qui mêlait, avec beauté et audace, le sang des Valois
et celui de la maison d’Espagne. Elle avait une vingtaine d’années et se
prénommait Violenta, ce qui lui allait bien, mais, après son mariage, on la
nomma Yolande.
Yolande d’Aragon, nouvelle duchesse d’Anjou, vint
présenter ses hommages au roi et à la reine de France, Isabelle fut charmée par
sa noblesse et la simplicité de sa mise. Il n’y avait nulle ostentation chez
elle, elle avait de la race et méprisait ce qu’elle appelait les déguisements
de cour. La reine l’invita à un petit souper en son hôtel de la Pissotte, en
compagnie de ses dames les plus proches. Elle détestait de plus en plus les
grands festins où l’on se perdait, elle aimait l’intimité.
Violenta ou Yolande d’Aragon avait un solide
appétit en manière d’homme. Elle en avait aussi le caractère, et cela se lisait
sur son visage, qui s’animait lorsqu’il était question de politique.
— Les princes de sang sont stupides, affirma-t-elle
sans vergogne au cours du repas. Les chevaliers ne tiennent pas leur honneur à
la pointe de leur épée, mais à celle de leur verge dressée qu’ils croient plus
haute que celles des autres. Il n’y a qu’à voir leurs brayettes boursouflées d’étoupe
pour comprendre qu’ils jouent encore comme des garçonnets à celui qui aura la
plus longue.
Ce rude langage stupéfia les dames d’Isabelle, mais
celle-ci éclata de rire, car c’étaient les propos de Jean de Gerson lors
de son lit de justice pour Christine de Pisan, en sa cour d’amour. Elle en
convint avec elle.
— Il est vrai que leur virilité est leur
orgueil.
— Et même ils se confondent, renchérit
Yolande, déchiquetant de ses dents carnassières un oison au sucre à la sauce
verte.
La reine observa son visage carré, au teint mat, empreint
de détermination. Ses lèvres charnues et son nez aux narines épatées
trahissaient sa sensualité. Elle n’était pas belle, mais elle avait plus, un
charme singulier. Violenta parlait droit, sans détour, avec rectitude. Elle n’aimait
point le maniérisme de la politesse en usage, dont elle
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