Duel de dames
loin.
— Je gage aussi, pouffa l’avisé conseiller.
*
Isabelle regagna sa Bergerie de Saint-Ouen à l’été 1403,
pour y retrouver le calme des bergerettes, loin des tourments et des pressions
de la Cour, loin de la démence furieuse du roi. Ozanne, qui était auprès d’elle,
était elle-même épuisée des soins qu’elle avait tant prodigués à Charles VI.
C’était en tout cas l’avis du duc de Bourgogne qui venait de placer auprès
du fol une belle, jeune et gracieuse dame, Odette de Champdivers, que l’on
appelait déjà « la petite reine ». Selon certains, elle avait douze
ans, et d’autres disaient vingt-cinq, elle était la fille ou la sœur d’un
maître de l’hôtel du roi, Guyot de Champdivers, écuyer de la maison de
Bourgogne. Philippe le Hardi savait placer ses gens tout en embrouillant
les pistes. Quoi qu’il en soit, le roi la prit tant en amitié qu’il ne voulut
plus s’en priver. Et, avec le nain Cerise, elle s’appliqua au soulagement de
son souverain, car ils avaient de l’attachement pour le Bien-Aimé, et leur
dévouement sincère concourait aussi à leur élévation. La reine avait donné son
consentement et consolait présentement sa dame d’honneur de son éloignement :
— Je sais que tu l’aimes, Ozanne, et que tu l’aimeras
jusqu’à ta mort, mais je ne veux point voir la Faucheuse se précipiter sur toi,
car enfin, tu vas en tomber malade. Nous avons perdu Catherine de Fastavavin,
je ne laisserai pas ta vie dépendre de la folie du roi, l’embrassa-t-elle en
suppliant. J’ai tant besoin de toi, Ozanne, tu m’as tellement manqué, il ne me
reste plus rien de mes chères amitiés d’antan, sauf toi.
— Me laissera-t-on encore le voir ? Je
veux que rien ne lui manque, lui rétorqua sa dame de compagnie.
— Rien ne lui manquera, Ozanne. Mais il est
fou, irrémédiablement fou. Il te faut l’accepter comme je dois l’accepter. Il
ne sait par moments qui je suis, et qui tu es à présent. J’ai besoin de ta
sagesse et de ta science dans ma mesnie qui moult s’agrandit. Tu es ma première
dame d’honneur, tu ne peux t’y soustraire.
Ozanne se rendit aux paroles de la reine. Elle
avait voué sa vie aux souverains de France, et il était temps qu’elle revienne
à la reine qui avait une lourde charge d’enfants.
En ces mois rayonnants de juillet et d’août, la
souveraine avait décidé que le séjour serait placé sous le signe des
simplicités de la pastoure, à l’exemple de Yolande d’Aragon qui était retournée
dans sa Provence auprès de son mari. Chacun et chacune se firent une joie d’endosser
la vêture des bergers et des bergères : simples bliauts et cottes, chevelures
torsadées ou à tresses, avec pour seuls ornements des rubans et des fleurs ;
les hommes étaient en braies et vêtus d’une libre chemise, certains même
portèrent des sabots en place de poulaines. Le jour de la Dormition de la
Vierge, après les messes, un déjeuner sur l’herbe s’organisa avec la Cour. On
festoya, se baigna nu dans les ruisseaux, on dansa des rondes au son des
musiciens et joua à toutes sortes de balles.
Isabelle eut plaisir à voir les nombreux enfants
de sa mesnie s’ébattre en liberté. Sa fille Isabelle avait quatorze ans et l’on
voyait bien qu’elle menait la farandole avec l’autorité de son prestigieux
titre de reine d’Angleterre. Le duc et la duchesse de Bretagne avaient
onze et treize ans, et Jeanne disputait ce privilège à sa sœur aînée.
— Tu n’es plus qu’une veuve de rien du tout, et
moi je suis la vraie duchesse de Bretagne ! hurlait d’une voix aiguë
Jeanne, qui voulait prendre la menée du branle.
— Être veuve de roi est mieux que duchesse, et
j’ai le droit d’aînesse, répliqua Isabelle en se jetant sur sa sœur, toutes
griffes dehors.
— Les rivalités de préséances commencent tôt,
dit la reine en voyant leurs damoiselles d’honneur contraintes de les séparer, alors
qu’elles se battaient comme des chiffonnières. Elles n’ont jamais cessé de se
quereller depuis l’enfance.
— Ne serait-il pas temps de remarier la
princesse Isabelle, noble dame ? lui souffla son confesseur. La reine d’Angleterre
s’en tient à son titre, il faudrait pourtant bien qu’elle en démorde.
— On y pense, frère Agreste, M gr d’Orléans
la veut pour son fils Charles.
Ils se tenaient sur un vaste tapis de haute lisse étalé
dans la prairie, et des sacs de foin leur
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