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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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Jean avait répliqué par le rabot, avec la
devise : « Je le tiens », et il offrait à qui voulait le porter
la « raboture », un précieux copeau d’argent, où s’inséraient, pour
certains, quelques gemmes à la rutilance ostentatoire. Ainsi, la cour se
scindait en deux, plus que jamais, et les probourguignons s’affichaient jusque
dans leurs parures. La division sourdait de tous les actes et décisions des
deux princes, à coups de libelles injurieux, de programmes et contre-programmes
gouvernementaux. Le duc de Bourgogne rabotait sans désemparer la
réputation de ce brillant et orgueilleux prince, dépravé de mœurs, dispendieux,
pilleur du Trésor royal, affameur du peuple.
    C’était une chose étrange de voir combien le
séduisant duc d’Orléans se séduisait lui-même. Lui, qui avait depuis l’enfance
si peur des mouvements de colère de la foule, faisait fi avec morgue de l’opinion
publique que Jean sans Peur attisait contre lui.
    Jean de Bourgogne, malhabile dans ses
accoutrements comme dans son élocution, savait comment ourdir contre son ennemi.
Lui, le laid, le sans faste, le sombre taureau qui chargeait aveuglément, avait
appris la patience des menées souterraines. Il était le héros de Nicopolis et
il jouait sur sa réputation de bravoure. Qu’importe qu’elle fût une déroute, qu’il
eût conduit ses hommes au massacre, qu’il eût ruiné son père par l’énorme
rançon demandée par Bajazet. Il restait que, à vingt-cinq ans, il s’était
vaillamment battu contre les infidèles, alors que le frère du roi n’avait
conduit aucune guerre. Bourgogne se présentait aujourd’hui en rénovateur de l’ordre
et de la justice d’un royaume conduit à la dérive par le spoliateur Orléans.
    Ce malaisé en cour s’était fait séducteur du
peuple, et le séduisant frère du roi s’en faisait haïr.
    Isabelle s’était lassée de lui, ils n’étaient plus
amants, mais ils gouvernaient ensemble dans une situation incohérente.
    *
    Il était un lieu, dans Paris, où s’assemblaient la
nuit les gueux et les mendiants de toutes sortes, situé entre la rue
Saint-Sauveur, la rue de la Truanderie et de la Mortellerie. Le guet ne s’aventurait
jamais dans ce quartier sombre et délabré. C’était le royaume des difformités
répugnantes, qui se répandaient le jour dans les beaux quartiers pour
solliciter de leurs aumônes les riches bourgeois qui les prenaient en pitié.
    Bientôt, ce lieu prendrait le nom de la cour des
Miracles, car, de retour, les aveugles voyaient clair, les paralytiques
recouvraient l’usage de leurs membres, les boiteux s’étaient redressés, ou
encore les scrofuleux arrachaient leurs faux bubons.
    À l’aube de la cour des Miracles, en cette année
1407, un géant en était le chef. Certains, qui l’avaient connu naguère, l’appelaient
l’Ogre, mais pour d’autres c’était Pascal le Peineux. En tout temps et en tous
lieux, il était accompagné par un homme sombre et de noble allure, et dans la
truanderie, nul ne savait qui suivait l’autre. Cet homme mystérieux était
appelé le Chevalier.
    Après les Blancs-Manteaux, le sire de Bois-Bourdon
se cachait en ce lieu improbable où nul ne pouvait l’imaginer. Il avait fait
des mendiants, des coupeurs de bourses, des pilleurs de maisons bourgeoises ses
informateurs.
    Il en sortait cependant pour s’entremettre avec le
vieux duc de Berry.
    La reine était à nouveau grosse depuis mars et
passait tout son temps dans les larmes, car elle était épuisée par ses
maternités et par la querelle des princes.
    Le lundi 21 novembre 1407, le sire de Graville
retrouva le Camus dans l’un de ses ateliers de sculpteur.
    — Comment trouvez-vous mon nouveau modèle ?
lui demanda-t-il en lui désignant un fort bel homme qui posait nu dans une
attitude avantageuse.
    — Mes informateurs me disent que c’est un
paveur de rue que vous couvrez d’or, lui répondit Bois-Bourdon.
    — Où trouver la plus belle espèce de notre
race autre que dans la rue, à condition de les prendre jeunes.
    — Savez-vous que l’on vous accuse de
bougrerie ?
    Le Camus gloussa dans son triple menton.
    — À mon âge ! Cette légende me survivra
moins que l’Apollon que je compte faire sortir de la pierre par les ciseaux de
mes artistes.
    — Il est des légendes qui ont la vie dure.
    — Plus dure que l’œuvre d’art ? Elle est
impérissable, et je donne à la patience de ce garçon l’immortalité,

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