Duel de dames
ait tiré vengeance de l’affront.
Mais il n’y eut pas besoin d’aller quérir en sa seigneurie l’époux bafoué. Soit
qu’il ne voulait point faire accuser un innocent, soit qu’il voulait avoir les
honneurs de ce crime, le duc Jean avoua aux ducs de Berry et d’Anjou que
le Diable l’avait possédé et qu’il était l’auteur de cet attentat. Les princes
en furent atterrés et, dès le lendemain, l’entrée du Conseil lui fut refusée. Jean
sans Peur jugea plus prudent de prendre la fuite et se réfugia à Lille, où il
fit sonner les cloches pour remercier le Ciel de l’avoir sauvé, car, malgré son
surnom, il avait grand peur des conséquences de son aveu. En mémoire de cette
fuite, longtemps, à la même heure, sera sonné « l’Angélus du duc de Bourgogne ».
Ses aveux étaient d’ailleurs fâcheux pour la
justice royale. Le duc de Bourgogne était pair doyen de France, il
possédait le plus riche domaine du royaume, et il était le beau-père du dauphin
Louis d’Aquitaine, futur roi. On ne jugeait pas un tel prince comme un simple
criminel. Après en avoir délibéré en Grand Conseil avec Charles VI, il fut
décidé que le duc de Bourgogne aurait rémission s’il dénonçait ses
complices. Celui-ci refusa.
Alors Isabelle de Bavière vint joindre ses
prières à celles de la duchesse d’Orléans, pour se jeter aux pieds de son époux.
— Mon doux seigneur, l’auteur de cet attentat
est votre cousin germain, le duc de Bourgogne, par lui avoué. C’est le
Judas qui, par cet acte de félonie infâme, a terni l’honneur des princes de Lys.
Le Judas qui, deux jours plus tôt, donnait le baiser de paix à votre frère
unique, devant Dieu et les hommes, alors qu’il fourbissait les armes de son
ignominie. Daignez rendre justice à sa veuve qui ici vous implore.
Charles VI n’était pas dans ses bons jours et
ne semblait plus guère affecté par ce crime. Il leur tint un discours quelque
peu incohérent sur le mal qui pouvait envahir un chevalier chrétien, pourtant
garanti par les sacrements et les règles de la chevalerie. Puis il les embrassa
toutes deux et leur assura vaguement qu’il ferait bonne justice. Le lendemain, il
était retombé dans son habituelle maladie.
La reine jura à Valentine Visconti qu’elle userait
de toute sa puissance afin que Jean sans Peur soit châtié. Les deux ennemies
irréductibles fraternisaient dans cette adversité.
Mais rien ne se fit. Et Valentine apprit que l’assassin
de son époux inondait la capitale de libelles justifiant son crime, salissant à
outrance le duc d’Orléans. Il se proposait de faire prochainement son entrée à
Paris, avec tout le faste de son ost, pour venir se justifier devant le
Parlement et expliquer comment il avait sauvé le royaume d’un tyran, en le
débarrassant du frère du roi, traître à celui-ci. C’était curieusement
renverser la situation. Paris, oubliant qu’il avait pleuré un moment le bel et
bon prince assassiné, se préparait à accueillir Jean sans Peur avec tous les
triomphes dus à un si grand héros. Les princes, plus discrets, se disaient
cependant bien disposés à le recevoir et à l’entendre.
Valentine Visconti, qui ne voulait point voir ce
retournement d’opinion qui la crucifiait, partit à Blois dans le dessein d’y
demeurer. Elle fit renforcer les fortifications de la ville et du château, les
approvisionna en vivres et en armes comme si elle s’attendait à un siège, et
multiplia les hommes de garde à toutes les portes.
Elle prit comme devise : « Plus ne m’est
rien, plus rien ne m’est. »
*
Le 25 février 1408, le duc de Bourgogne
fit son entrée à Paris dans une liesse populaire indescriptible, et les
bourgeois se portèrent à sa rencontre avec des présents, revêtus du costume de
leurs différentes corporations. Le peuple s’agglutinait sur son passage en
criant : « Noël, Noël ! » Jean sans Peur caracolait, en
houppelande de velours vermeil à feuilles d’or reversée de martre et d’un
chaperon fourré de petit-gris, dans une tempête d’acclamations. Jean de Nevers-le-rechigné
était bien ce jour d’hui le grand Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Il
affichait sur son visage prognathe un sourire féroce.
La Cour fut plus réservée et attendit de l’entendre,
ou plutôt d’entendre son orateur Jean Petit, durant quatre heures. C’était un
habile homme, qui haïssait le duc d’Orléans, et il n’eut guère à forcer
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