Duel de dames
hommes d’armes
qui l’entouraient à tout bout de champ, collés à lui comme des sangsues ! Même
au Conseil, il venait bardé de fer ! et voilà qu’il se balade quasiment
seul, en robe fourrée comme un damoiseau, et trottinant sur une mule !
— Orléans a cru au serment de l’église des
Augustins.
— Faut-il être mule soi-même pour être si
balourd ! Même ma racaille est plus maligne !
Ils gardèrent le silence, alors que les gueux
poussaient des exclamations de contentement quand des femmes en jupes bariolées
vinrent apporter des tonnelets de vin et de bière.
— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
— On attend, répondit simplement Bois-Bourdon.
Et prie qui pourra ! J’ai cherché Dieu de Jérusalem à La Mecque, en
revenant par Saint-Jacques-de-Compostelle, et je ne l’ai toujours point trouvé,
poursuivit-il en se levant.
— Par tous les saints de la petite vérole, ne
blasphémez pas, mon prince ! Bourdieu ! À quoi elle pensait la petite
statue de Notre-Dame, dans la niche de cette maudite maison ? Pourtant je
l’ai priée et repriée quand je faisais le guet, j’avais tout mon bon Dieu de
temps !
Bois-Bourdon rejoignit les autres autour du feu, et
fut accueilli avec de nouveaux cris de joie.
*
Charles d’Orléans entra timidement dans la chambre
de son épouse après avoir toqué à l’huis. Elle lisait un gros volume posé sur
ses genoux à la lueur des chandelles.
— Madame ma mère m’envoie, lui dit-il, elle
me dit qu’il faut que je vous connaisse.
Elle était nue jusqu’à la taille, ses petits seins
dressés comme deux pommes, ses cheveux noirs tressés sagement le long de son
visage, à la peau si fine et blanche que l’on voyait les entrelacs bleus de ses
veines battre sur ses tempes. Elle abaissa son livre, et le regarda s’asseoir
près d’elle. Il traînait avec lui son inséparable viole.
— Que lisez-vous ? lui demanda-t-il avec
timidité.
— Les ballades et rondeaux que m’a offerts ma
mère. Ils sont de Christine de Pisan qui vient souvent visiter la reine.
— Vous aimez la poésie ?
— Comme madame ma mère.
— Et moi, comme monsieur mon père. Pouvez-vous
m’en lire ?
Isabelle releva son livre :
Je vous vends le
songe amoureux
Qui fait joyeux ou
douloureux
Être, celui qui l’a songé.
Charles fit un accord sur sa viole et continua le
sizain en chantant de sa voix éraillée par la mue, mais qui avait tant de
charme :
Ma dame, le songe
que j’ai
Fait cette nuit, ferez
être vrai
Si je puis votre
amour avoir.
— Tu le connais ? sourit la jeune fille.
— Mon père me les lisait, dit-il en baissant
la tête pour cacher sa détresse. Demain, je vais à Paris avec ma noble mère la
duchesse, tout habillée de deuil, et mon frère Philippe, afin d’implorer le roi
de nous rendre justice.
Isabelette garda le silence. Elle voyait combien
il souffrait. Un grand sentiment de tendresse l’envahit.
— Tu ne peux me connaître, dit-elle enfin, je
suis impure.
— Vous ? dit-il en relevant sa tête de
jeune éphèbe. Cela ne se peut.
— J’ai le sang, murmura-t-elle.
Il ouvrit ses immenses yeux sombres, bordés de
longs cils comme ceux des filles.
— Voilà donc ce grand mystère des femmes ?
Puis-je voir, ma dame ?
Elle lui tendit le livre qu’il déposa sur la
banquette de chevet. Elle abaissa la courtepointe sur ses jambes. Il vit la
ceinture qui tenait un linge entre ses cuisses.
— Ainsi, vous mettez un pansement sur cette
blessure secrète. Souffrez-vous ?
— Pas ce soir, c’est la fin.
Elle le laissa faire quand il défit la boucle de
la ceinture, et rabattit le linge. Il resta fasciné par la tache de sang
oblongue qui l’auréolait, comme devant un prodige.
— Cela est grand mystère pour nous aussi, femmes.
Crois-tu que la Vierge Marie était aussi impure toutes les lunes avant qu’elle
ne porte Jésus ? Et encore après. J’ai posé la question à mon confesseur, qui
a rougi et qui m’a répondu qu’on ne parlait pas de ces choses-là, et qu’il
était hérétique de penser que la Vierge avait ces choses-là. Et encore, que ce
n’était pas Dieu qui avait créé cette chose impure, mais le Diable.
— La Vierge était bénie entre toutes les
femmes, elle est l’image de la pureté. De même, vous, ma dame que je révère, ne
pouvez jamais être impure.
Charles gardait envers elle un langage
révérencieux, encore impressionné
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