Duel de dames
son
talent. Après l’habituel panégyrique du prince de Bourgogne, il en vint au
frère du roi : responsable de l’échec de la soustraction d’obédience par
son attachement à Benoît XIII, pape schismatique et hérétique, qui
laissait l’Église dans les ténèbres. Orléans félon, qui, par désir du trône, avait
fait empoisonner, ensorceler, et même avait voulu brûler le roi au soir du Bal
des Ardents. Orléans encore qui avait tenté le dauphin Louis de Guyenne d’une
pomme vénéneuse.
Jean Petit en appela à saint Thomas d’Aquin pour
faire valoir combien un tyran nourrissait le peuple de discordes, spoliait les
richesses publiques, comment il gouvernait pour son bien et non pour le bien
commun, et exerçait son pouvoir pour satisfaire ses passions coupables, ses
bougreries et crapuleries. Ainsi, selon saint Thomas d’Aquin, il était juste de
se débarrasser d’un tyran, et ceux par qui le crime était commandé étaient
dignes de louanges, et que ce crime était licite, car aucune offrande ne
plaisait plus à Dieu que le sang des tyrans.
Isabelle songea que Valentine Visconti avait eu
raison de se retirer à Blois, et elle pleura d’indignation alors que l’orateur
se faisait ovationner. Elle vit que le duc de Berry, au visage de lune, était
renfrogné de colère, et Louis d’Anjou, à son côté, pleurait comme elle. L’ovation
n’était pas générale, bien des princes étaient sombres. Ainsi le crime de leur
noble personne était permis, selon la façon dont on le justifiait.
Vers la fin de l’année 1408, la reine reçut des
nouvelles alarmantes de la duchesse d’Orléans, et de sa fille Isabelette qui
lui annonçait qu’elle était grosse. Elle s’apprêta à rendre visite à l’une et à
l’autre en la ville de Blois.
27
Jusqu’à la mort
Que sont mes amis devenus,
Que j’avais de si près tenus,
Et tant aimés.
Ils ont été trop clairsemés,
Je crois le vent les a ôtés.
L’amour est morte.
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta.
Rutebeuf [89]
« Moi, Charles d’Orléans, envoie un défi à
toi, Jean, qui te dis duc de Bourgogne, pour le très horrible crime par
toi fait en très haute trahison en la personne de notre très redouté seigneur
et père Louis, duc d’Orléans. »
« Toi, Charles, qui te dis duc d’Orléans, moi,
duc Jean de Bourgogne, fais reproche des très horribles trahisons
machinées et faites avec félonie à l’encontre de monseigneur le roi. Toi et tes
frères avez menti et mentez faussement et déloyalement comme les traîtres que
vous êtes. »
L’orgueil chevaleresque ne pouvait plus ignorer ces
insultes redondantes, lancées dans des défis officiels.
*
— La guerre civile est inévitable, murmura
Isabelle à Valentine Visconti qui reposait dans son large lit à courtines.
La chambre était ronde, comme « la grosse
tour » médiévale, et donnait, par de larges verrières, sur les lacis
paresseux de la Loire.
Valentine sourit, si pâle sur ses oreillers de
dentelles. Ses yeux d’un bleu sombre lui mangeaient le visage et étaient cernés
d’un bistre malsain. De la guimpe qui lui enserrait la tête s’échappaient
quelques mèches de cheveux dont le blond fauve était passé à une couleur fade
et opaline. La duchesse d’Orléans avait vieilli d’un coup, elle se laissait
mourir de consomption. La voir en cette décrépitude était insupportable à
Isabelle.
— Tu vivras, ma cousine, pour voir le
triomphe de notre vengeance.
— J’ai fait une belle chose de ma vie : mes
fils. La vengeance leur appartient.
La reine se souvenait comment elles avaient été
rivales à donner des mâles aux Valois, et ce qu’elle-même avait fait pour y
parvenir. La duchesse s’en était-elle doutée ? Éternelle question de sa
culpabilité, alors que la duchesse ajoutait pour sa plus grande mortification :
— Louis était habile à faire des fils, à moi
comme aux autres. J’adore mon petit Dunois.
Isabelle se leva pour dissimuler le malaise qui la
faisait rougir, Valentine avait l’art de faire penser qu’elle en savait plus qu’elle
n’en disait. Lui tournant le dos, elle alla se planter devant la verrière. Un
lumineux soleil de décembre faisait miroiter la rivière de Loire d’éclats verts
et argent, sur ses eaux glauques.
— Il faut que je t’avoue, cousine, poursuivit
la duchesse, que cette histoire de semence mâle ou femelle, je
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