Duel de dames
instant
d’un air grave.
— Mais je ne serai plus de ce monde à sa
naissance !
Et elle but d’un seul trait avec une horrible
grimace.
— Assez, Valentine ! Tu es une
Valois-Visconti, je suis une Visconti-Wittelsbach, à nous deux, nous tenons le
monde, du nord au sud.
— Il est trop tard, ma cousine, ma si
enviable souveraine belle-sœur, le doigt de Vénus [90] m’a touché, dit-elle
en comprimant sa poitrine avec un rictus de douleur intense.
— Que veux-tu dire ?
— Que je meurs des poisons dont on m’a
faussement accusée naguère. J’aimais le roi comme une sœur.
— Valentine, qu’as-tu fait ? cria-t-elle
en la voyant se contracter soudain, comme si elle venait de recevoir la lame d’un
poignard dans le cœur. Valentine, c’est un suicide vrai !
— Je ne voulais pas partir sans te donner le
spectacle des dernières convulsions de la Couleuvre milanaise, dit-elle dans un
râle.
Ainsi se concluait leur querelle, jusqu’à la mort.
Valentine voulait avoir le dernier mot.
— Donne-moi ta parole que tu garderas ce
secret… pour nos enfants, dit encore la duchesse dans un affreux hoquet.
Isabelle voyait que c’était la fin.
— Nous reine, en parole de reine, murmura
Isabelle comme une oraison, en la voyant s’affaisser et rendre le dernier
soupir.
C’était le troisième dimanche de l’Avent 1408.
La reine resta un instant stupéfaite, regardant le
cadavre. C’était bien le dernier tour que cette diablesse de Couleuvre
milanaise lui jouait.
— Je te hais, hurla-t-elle en se jetant sur
son corps, le martelant de ses poings. Je te hais ! Valentine ! Je
suis si seule, ne m’abandonne pas !
Elle hurlait tant que les chambrières et les dames
de la cour de Blois accoururent. Quand elles réussirent à arracher la reine
prise de furie, à son ennemie, elle balbutiait sans discontinuer : « Elle
est morte, elle n’avait pas le droit, elle n’avait pas le droit. »
— C’était son choix, lui murmura Zizka, elle
est dans les bras de son aimé. Tu seras bientôt dans celui que tu aimes.
— Je ne te crois pas ! rugit-elle en se
débattant avec fureur contre les chambrières. Ils sont tous morts, tous ceux
que j’aime, ceux que je hais, pareil, ils sont tous morts !
Isabelle s’évanouit dans les bras des dames de la
duchesse d’Orléans.
Capucine, recroquevillé dans un coin de la chambre, sanglotait
à en perdre le souffle.
*
La reine fut couchée dans un lit inconnu, la
première ventrière de la duchesse d’Orléans lui donna à boire une potion qu’elle
ne voulut pas prendre.
— Buvez, madame la reine, vous vous sentirez
si légère que vous serez transportée au-delà de cette terre cruelle.
Quelle était cette boisson ? Elle ne prenait
que celle d’Ozanne, elle seule avait sa confiance.
— Buvez, lui ordonna la maîtresse femme, j’ai
des orphelins à m’occuper, et le petit Dunois est le plus pleurant.
Ainsi un enfant pouvait pleurer la mère qui l’élevait
plus que celle qui l’avait enfanté ? se dit-elle en buvant le breuvage. Elle
allait devoir s’en souvenir, se dit-elle encore, en faisant la même grimace que
Valentine tant il était amer. Était-ce une décoction du doigt de Vénus, ou de
ciguë ? Ou même un mélange des deux pour hâter la mort ? Que lui
importait de mourir également, si c’était le dernier tour que voulait sa
cousine.
Et elle mourut. Elle se sentit s’élever hors de
son corps, qu’elle vit au-dessous d’elle, gisant, si touchant dans la fragilité
de son abandon. Elle se dit qu’elle était encore belle et qu’elle voulait vivre.
Puis elle fut aspirée, elle passa les murailles et s’éleva dans les airs. Elle
voyait en panoramique la ville de Blois, et le ruban d’argent de la Loire qui
étincelait sous une lune d’une brillance singulière. La terre était si belle
dans la luminosité de cette douce nuit. Elle ne voulait pas la quitter, mais
elle montait toujours haut, et si légère qu’elle repensa à la plume immaculée d’innocence
portée par le souffle de Pureté, la parabole que lui avait contée Philippe de Mézières.
« Ne t’abaisse jamais, ma reine, garde de la hauteur, ne te laisse pas
souiller par les miasmes du monde », lui avait-il enseigné. Elle sentait
la présence de son maître, et flottait de plus en plus haut. Tout n’était plus
que lumière de l’Amour absolu.
Sa mère, Thadée Visconti, était aussi présente et
psalmodiait sans
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