Duel de dames
de Montaigu, notre trésor est vide ? nous
amenderons notre prodigalité, et nous le remplirons. Deux papes se querellent ?
nous saurons bien les accorder, par la force de nos armes s’il le faut.
Un frémissement inquiet passa sur la petite
assemblée, le roi s’immobilisa, impérial, et continua avec plus de solennité :
— Nous avons céans une délégation de nobles
génois qui implorent notre secours contre Tunis. Comme nous l’avions déjà
appris lors de notre dernier voyage, ces corsaires mettent à mal le commerce en
Méditerranée. Demain nous tiendrons un Grand Conseil en la salle Charlemagne, et
nous assurerons aux Génois notre soutien sans partage. Nous porterons la guerre
à Tunis où se terrent ces pirates, nous prendrons cette terre de Barbarie qui
deviendra le pont de notre future grande croisade. Nous y rassemblerons la
chevalerie d’Occident. En endossant la croix, tous les preux devront renouveler
les serments de leur adoubement, puisqu’il semblerait qu’ils les aient oubliés.
Et pour faire bonne mesure, ils prononceront les trois vœux qui font du
chevalier le soldat du Christ : chasteté, obéissance, et non proprio !
Sous le coup, les convives sursautèrent.
— Chasteté, obéissance, et pas de possession ?
traduisit Jean la Grâce en gloussant. Mais c’est une gageure, sire, de vouloir
faire de la chevalerie une armée de saints et de moines mendiants.
— Qu’ils jurent, il en restera toujours
quelque chose ! jeta le roi sur un ton où perçait un léger sarcasme.
Isabelle se prit à admirer son époux. Après avoir
cru le perdre, elle le retrouvait avec une force à soulever des montagnes. Elle
l’avait cru inattentif et absent durant le repas, il avait au contraire fort
bien écouté et décidait à présent, méthodique, avec une auguste autorité.
— En portant nos forces à Tunis, monsieur mon
connétable, continuait-il, Bajazet aura d’autre étoupe à mettre en sa
quenouille que de faire brouter son cheval sur l’autel du Saint-Siège de Rome. Il
faudra bien qu’il se détourne de conquérir les royaumes chrétiens de l’Est, quand
la menace sera présente sur les terres ottomanes.
Olivier de Clisson approuva bruyamment.
— Messire de Craon, poursuivit Charles VI,
vous qui vous faites si bien le garant de la fidélité de votre cousin, nous
convoquerons par mandement royal le ban et l’arrière-ban de son duché de
Bretagne, et lui commanderons de nous fournir deux mille lances [37] pour notre croisade en Barbarie. Et, du même coup, nous lui rappellerons ce qu’il
doit toujours à l’honneur de notre connétable. Nous verrons bien alors si Jean de Montfort
se soumet à ses devoirs vassaliques.
— Je me fais fort, s’exalta Louis d’Orléans, de
réunir trois mille lances de mes fiefs, avec l’aide de mon beau-père de Milan, et
j’en prendrai le commandement, ajouta-t-il, alors qu’il n’avait jamais guerroyé.
— Que de hardiesse, messire, s’interposa
Olivier de Clisson. À la guerre, on ne meurt pas à tout coup, mais à vous
faire prendre par les Ottomans, mon prince, votre rançon nous coûterait trop
cher.
— Notre connétable a raison, mon frère. Patience,
vous ne serez pas de la croisade en Barbarie, mais de la grande, quand nous
irons ensemble sous la protection de saint Denis jusqu’à Jérusalem.
Louis avalait péniblement sa déception, quand le
sire de Craon lui proposa :
— À mener votre ost, monseigneur, je ne vois
qu’un homme qui mériterait cet honneur à votre place : le chevalier de Bois-Bourdon.
— Jamais ! cria la reine en se levant.
Elle aurait voulu se mordre la langue à se la
trancher quand elle vit tous les regards sur elle. Elle surprit aussi le
sourire à gifler que Craon lui adressa. Que savait ce diable d’homme ? Venait-elle
de se trahir ? Elle se reprit, maîtrisant les tremblements qui l’agitaient
soudain, et lui dit avec majesté :
— Souffrez, monsieur de Sablé, que je
dispose du capitaine de ma garde personnelle comme je l’entends.
— Et souffre de même, Craon, que je dispose
moi-même du capitaine de mon ost, surenchérit Louis d’Orléans, l’œil mauvais.
— Messeigneurs et mes dames, rompit Charles VI,
je me retire en mon logis. Tout est dit, et la journée a été rude. Demain, elle
sera plus rude encore. Les décisions de notre Grand Conseil seront annoncées à
force de hérauts et sons de trompes par tout le royaume. Nous ferons
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