Duel de dames
en eut soudain le vertige, imaginant un instant un véritable complot contre
sa vie, en présence du roi et de la reine. Il n’avait jamais eu l’intention d’informer
Isabelle des menées criminelles du sire de Sablé, elle en aurait été par
trop épouvantée ; et pourtant elle semblait en savoir bien plus que lui. Il
s’apprêtait à narrer comment Pascal le Peineux et la larronaille avaient déjoué
le plan scélérat du baron breton, quand elle lança, en ôtant les épingles
ornées de cabochons d’améthyste qui maintenaient ses cheveux sur les tempes :
— Maudite soit cette croisade en Barbarie !
— Quelle croisade ? demanda-t-il en
ravalant ses révélations.
Les deux tresses se déroulèrent comme des serpents,
de part et d’autre du visage de la femme qu’il aimait, se lovèrent entre ses
seins, puis tombèrent plus bas que sa taille. Il la trouvait belle à en mourir
malgré son état de stupeur, et ne comprenait décidément rien au discours
décousu d’Isabelle.
À son air, celle-ci réalisa qu’il ne pouvait
comprendre sans explications, car tout venait de se décider au cours du souper.
Elle lui narra plus posément ce qui s’y était passé tout en entreprenant de se
débarrasser de ses atours. Bois-Bourdon vint l’aider : les belles dames
étaient bien maladroites à se vêtir et à se dévêtir sans l’aide de leurs
chambrières, car, souvent, elles cousaient les robes de parade à même le corps
pour les ajuster.
C’est ainsi qu’il apprit le projet de la croisade
en Barbarie, comment le duc d’Orléans fut marri de ne pouvoir conduire sa
propre armée, et qu’il le fut plus encore quand Craon avait proposé le sire de Bois-Bourdon
à sa place au commandement.
Isabelle soupira de soulagement quand elle se
trouva enfin à l’aise, dans sa chemise du dessous. Elle se pendit au cou de
Bois-Bourdon, amoureuse, impatiente. Il lui prit la bouche et l’embrassa
longuement.
— Jamais, lui murmura-t-elle, lèvre à lèvre, je
ne souffrirai jamais t’avoir si loin de moi.
Elle l’embrassait encore et encore, mais le
chevalier n’y était pas vraiment. Ainsi, Craon, n’ayant pas réussi à le faire
tuer, tentait de l’éloigner d’autre façon.
— Cela ne sera pas, insista-t-elle, sentant l’absence
de son amant. Louis d’Orléans ne veut prendre que capitaine à sa convenance.
Il se pourrait que sa convenance rejoignît celle
de son favori, pensa-t-il. Celui-ci saurait bien lui faire valoir combien il
serait souhaitable de laisser la reine exposée au vouloir du prince. Ce dernier
était amoureux de la princesse de Bavière, et ne le cachait guère.
Craon savait qu’Isabelle était liée d’amour au
capitaine de sa garde, mais Orléans, que savait-il ? À cette pensée, il
fut couvert d’une sueur froide tandis qu’elle l’entraînait vers son lit.
Alors son tourment se transforma en un désir
furieux, il la souleva dans ses bras et la déposa sur sa couche. Relevant sa
chemise, il la caressa avec emportement, de ses mains et de sa bouche, prenant
possession de ce corps pour s’en rassasier, s’il fallait qu’il le perde. Car
nul ne pouvait refuser l’honneur de conduire l’ost d’un si grand seigneur, et
lui moins que quiconque, sans soulever une suspicion légitime, sans
compromettre la reine de France.
Quand il la pénétra et qu’il la fit crier, ce fut
avec un désir exaspéré par le désespoir. Il s’enfonçait en elle comme s’il
avait voulu s’y enfouir tout entier, afin qu’elle le porte dans son ventre, qu’elle
le garde à jamais. Elle se donnait de même à l’engloutir, boutant ses reins à
son rythme, dans une plainte interminable.
Ils jouirent ensemble dans l’urgence de leur amour
maudit.
*
Il n’y eut guère de monde le lendemain au Grand
Conseil qui se déroula dans la salle Charlemagne. Elle pouvait accueillir jusqu’à
trois cents personnes, mais elle n’était remplie que de moitié. Les officiers, prélats
et courtisans qui n’étaient pas rentrés de leur voyage du Midi, ne se
consolèrent pas d’avoir manqué ce Conseil précipité. La salle d’apparat de l’hôtel
de Sens devait son nom aux fresques et aux tapisseries qui exaltaient la
légende du roi et celle de son neveu, Roland le preux.
Face à l’assemblée, le roi et la reine présidaient
en grand cérémonial sur une estrade, sous un dais d’azur fleurdelisé. Isabelle
portait la couronne aux quatre-vingt-seize diamants que Charles lui
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