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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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pas
une vallée à combler, gémit-elle, mais le gouffre des abysses.
    — Ta vue est encore trop courte pour en voir
le fond.
    — Qu’en sera-t-il de cette maudite croisade ?
    — Elle avortera aussi naturellement que tu
viens de le faire. Il y aura bien des morts inutiles, de toutes parts.
    —  Annus horribilis, murmura-t-elle en
latin à son tour.
    — Cette année horrible vient seulement de
commencer. Ta vue, encore une fois, est trop courte pour en voir le terme.
    — Quand reviendront-ils ? demanda-t-elle
avec un reste d’espoir.
    — Les survivants seront de retour à la fin de
l’automne, accompagnés de leurs morts qu’ils ramèneront à leurs familles en
deuil.
    — En sera-t-il ?
    — Des morts ? Non, à son grand désespoir.
    — Alors… me reviendra-t-il ?
    — Non, Basileia. Pas encore.
    « Pas… encore », répéta-t-elle. Une petite
étoile vacillante venait de s’allumer dans la profondeur de son sommeil, et fut
engloutie à nouveau dans un repos réparateur.
    *
    Les travaux et l’aménagement de la maison de
Pont-Perrin étaient presque achevés. Une semaine avant la Pentecôte, un courrier
avait annoncé l’arrivée de Louis de Bavière sous une quinzaine ; son
convoi approchait de Lille où il ferait halte chez le duc de Bourgogne, avant
la dernière étape vers Paris. Depuis Munich, il avait fait de longs détours
afin de saluer princes et ducs, comme il se doit. Isabelle voulait encore
agrémenter la sévère bâtisse afin que son frère et sa suite y trouvent leur
plaisance. Elle convoqua une armée de maîtres artisans, et fit mettre de la
couleur et de la beauté là où il n’y avait que pierres brutes, et terre
fraîchement remuée. Les jardins se parèrent d’un foisonnement de fleurs et d’arbres
à fruit déjà de bonne taille. On planta des bosquets, on installa une immense
volière d’oiseaux chanteurs, on fit couler l’eau des fontaines. Sur le fronton
du portail de la grande entrée, qui faisait face à la Seine, elle fit sceller
le blason sculpté et peint aux armes de Louis Wittelsbach d’Ingolstad, les
fuselés à bandes d’azur et d’argent de Bavière.
    Ces activités la distrayaient de ses peines. Mais,
à la mi-temps d’une nuit, le glas se mit à sonner au clocher de l’église
Saint-Paul, alarmant les dormeurs.
    Dans les appartements des enfants royaux, Isabelle,
les cheveux tombant sur sa houppelande de chambre, se tenait dans une pièce
retirée où priaient des moniales. Entourée de quatre cierges, une petite table
était drapée de velours noir. Jeanne était couchée dans une niche de satin
ivoire, et sa tête blonde et bouclée reposait sur un coussin de dentelle.
    À genoux sur un prie-Dieu, Ozanne, en chemise
comme les condamnées, sanglotait en silence, le visage enfoui dans ses mains.
    Isabelle s’approcha de sa fille, poupée de cire
douce et froide, les doigts menus croisés sur sa maigre poitrine, telle une
gisante. Ses yeux étaient restés grands ouverts. Elle la prit enfin dans ses
bras, la pressa contre son cœur. Puis elle la berça en lui chantant La
Pastourelle des anges :
     
    Enfants, quittez sans larme votre séjour
terrestre,
    Venez jouer de vos ailes avec l’agneau de Dieu.
    Enfants, sans nulle crainte en la pastoure céleste,
    Venez jouer de vos ailes avec l’agneau de Dieu.
     
    Son regard ne pouvait plus quitter le lac
insondable des prunelles de sa fille, qui s’étaient voilées d’une brume bleutée.
    —  Annus horribilis, murmura-t-elle. Cela
ne finira-t-il jamais ?
    Alors que nul n’était parvenu à lui fermer les
yeux, d’un geste d’une immense tendresse, elle abaissa les paupières de sa
fille.
    — Je ne savais pas que je t’aimais, souffla-t-elle.
    Elle reposa l’enfant avec précaution sur sa couche
mortuaire.
    « Laissez-moi la douleur de son trépas »,
avait dit Ozanne à la reine.
    Isabelle s’avança vers sa dame de compagnie qui tremblait
de froid et de chagrin. Elle ôta sa chaude houppelande, en couvrit ses épaules,
puis, se penchant sur elle, l’enveloppa de ses bras et l’étreignit de toutes
les forces de la consolation. Les cheveux noirs de la reine s’épandirent, les
enrobant d’une soyeuse chape de deuil.
    Le lendemain, M me  Jeanne de Valois,
morte dans son vingt-troisième mois, fut portée à Saint-Denis, auprès de son
frère Charles et de ses ancêtres les rois de France.

9
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