Duel de dames
pour le mieux s’il n’y avait le pire.
Depuis que Charles s’était relevé de sa chaude
maladie, ses tentatives au déduit s’étaient montrées infructueuses, et face à
ce ramollissement de la nature, Isabelle se trouvait bien maladroite à lui
rendre sa vigueur. Le roi, dont le bref coït lui rappelait celui des garennes
de son père, lui avait toujours fait l’amour avec la frilosité d’une pudeur
extrême. Elle savait cependant qu’il n’en était pas de même avec Ozanne de Louvain,
car les confidences de sa dame de compagnie lui faisaient apparaître que les
étreintes du roi pouvaient se comparer à celles de Bois-Bourdon, dans la
plénitude de la jouissance de leurs corps. Pourtant ces courtes copulations l’arrangeaient,
tant elle faisait son devoir de génération à son cœur défendant. En cinq ans, elle
avait eu trois enfants, il ne lui restait que sa fille Isabelle, et l’actuelle
impuissance du roi lui faisait craindre une répugnance qui la laisserait
bréhaigne.
Ozanne s’en était également inquiétée, et avait
poussé son amant à visiter la reine.
— Vous m’aimez, mon doux sire, tout autant
que vous aimez votre épouse. Mais vous la négligez. Pourtant, moi, je ne puis
vous donner le dauphin que vous appelez de vos vœux, et que le royaume attend.
Le jeune souverain s’était assombri, puis il avait
répondu avec une fausse légèreté :
— Je suis tout aussi impatient de la
naissance d’un fils. Ce n’est rien, ma mie, une fatigue passagère, je ne suis
pas encore bien remis de cette mauvaise fièvre.
Charles VI, toute honte bue, ne pouvait se
résoudre à lui confier les raisons de sa défaillance. Il ne s’était jamais
consolé de sa violence lors de la nuit de noces dont il n’avait pas mémoire
jusqu’ici. Il avait si peur de la blesser de nouveau, qu’il ne lui faisait l’amour
qu’avec crainte et dévotion. Mais lors de la fièvre torride qui l’avait accablé
à son retour du Midi, il n’avait pas seulement vu la lumière divine et entendu
la voix céleste. Son esprit avait été aussi agressé par des images
insupportables : sa petite épouse terrifiée et tremblante qui serrait sa
chemise en lambeaux contre sa poitrine ; ou se débattant sur le sol alors
qu’il tentait de lui ouvrir les cuisses de force, en grognant de rage ; et
le plus insoutenable, des gardes qui la maintenaient écartelée sur la couche
nuptiale alors qu’il la forçait, et le cri d’Isabelle, inhumain. Et puis ce
sang, tout ce sang. Et c’étaient ces horribles images qui le pétrifiaient, alors
qu’il tenait dans ses bras sa noble dame.
Et les choses avaient empiré après la mort de la
petite Jeanne. Après la perte de l’enfant, Ozanne et Isabelle ne s’étaient plus
quittées, de jour comme de nuit, délaissant le roi. Elles s’étaient
réconfortées mutuellement des coups cruels de cet annus horribilis, qui
les laissait affamées de consolations. Cette chaude intimité s’était
insensiblement muée en un jeu de caresses. Elles s’étaient enhardies et
ouvertes à la douceur amoureuse des femmes, ineffable et subtile. Elles se
connaissaient d’esprit et se portaient mutuelle affection, elles se
découvraient à présent de corps dans la sensualité.
De ces nuits voluptueuses, la reine s’en était
confessée, et s’accablait alors de toutes les turpitudes : le mensonge, la
luxure, l’adultère, l’inceste, d’être castratrice… et maintenant le saphisme.
Une confession qui avait fait jubiler Jean la
Grâce.
— Ozanne est bien à l’image d’Aphrodite, lui
avait-il répondu.
— Qui est Aphrodite ? avait demandé la
reine.
— Aphrodite [45] est la déesse
grecque de la fécondité, de l’amour, des plaisirs de la chair et de la beauté. Elle
surgit nue, dit la légende, de l’écume des flots de la mer. Sa peau a la
blancheur du lait, ses cheveux sont d’or et ses yeux d’aigue-marine.
— Voilà bien Ozanne ! s’était exclamée
la reine avec gourmandise.
— Le corps de votre dame exhale-t-il aussi
les parfums de la sensualité, ceux de la rose et de la myrrhe, comme celui d’Aphrodite ?
— Je songerai à lui offrir ces senteurs, lui
avait répondu Isabelle avec malice.
Son confesseur savait toujours l’alléger du
fardeau de ses culpabilités de façon plaisante.
— Toujours suivant la légende, avait-il
continué, Aphrodite chevaucha une conque et aborda l’île de Lesbos, où elle
aima Sappho, la poétesse
Weitere Kostenlose Bücher