Duel de dames
qu’il fallait en faire ?
Du pâté ? s’exclama-t-il en riant.
Isabelle riait aussi, de bonheur. Autan qu’elle
avait laissé au château de son père, qu’elle avait pris au nid encore
épervillon, qu’elle avait nourri, dressé. Autan qui avait saisi, dans une
prodigieuse descente en piqué, sa première perdrix des neiges avant qu’elle s’en
vienne en France pour n’en jamais revenir. Autan si chéri, si amèrement
regretté.
— Et tu peux m’en croire, il n’arrive pas
tout seul, mais avec toute sa volaille dans un des chariots qui nous suivent, c’est
un vaillant reproducteur, ce mâtin.
Isabelle pleurait à nouveau, mais de joie.
Les jours qui suivirent l’installation de la suite
bavaroise furent, comme il se doit, un tourbillon de festins, bals et tournois.
Charles VI donna l’accolade à son « cher frère » Louis, dit le Barbu,
en raison des boucles châtaines soigneusement taillées qui lui envahissaient le
bas du visage. D’ailleurs tout était soigné chez cet homme de petite taille, qui
gagnait en largeur d’épaules ce qu’il perdait en hauteur. De ses riches tenues
jusqu’à ses manières, c’était un homme délicieux, et de caractère joyeux tant
que l’on ne venait pas piétiner ses bottes. Il était un Wittelsbach, et
possédait l’orgueil et l’ambition de sa dynastie. Il avait son franc-parler et
ses reparties étaient plaisantes, souvent piquantes. Il était à l’aise à la
cour comme au champ de bataille, où il se montrait intrépide guerrier.
Les princes des Fleurs de lys profitèrent de cette
opportunité pour sortir de leur exil avec panache, Jean de Berry et
Philippe de Bourgogne se devaient d’honorer Louis d’Ingolstad, frère de la
reine, héritier de Bavière. Même Jean de Nevers parut, accrochant des
sourires à sa mine renfrognée ; le fils de Philippe le Hardi jouta
même avec Louis le Barbu en un combat si prestigieux qu’ils furent
déclarés vainqueurs ensemble. Les princes de sang contribuèrent largement de
leurs deniers à la somptuosité des fêtes. Charles VI fut comblé de voir sa
famille réconciliée. Contenter leur royal neveu était la visée première des
oncles, cela valait bien bourse délier. Sans doute ne siégeaient-ils plus au
Conseil, mais, par accord tacite, ils avaient décidé de ne plus se tenir à l’écart,
et de se montrer auprès du roi le plus souvent possible, en tous temps et en
tous lieux ; ils allaient faire voir qu’il fallait à nouveau compter avec
eux. Mais si les Lys avaient apporté à l’Hôtel l’éclat de leur munificence, ils
étaient aussi venus flairer l’humeur du moment. Ils virent bien que deux clans
irréductibles s’installaient sur le devant de la scène. La reine avait à
présent sa cour germanique, comme la duchesse d’Orléans avait sa cour italienne.
Dames et seigneurs de chaque coterie se faisaient bonne mine, multipliant entre
eux les marques de courtoisie, rivalisant d’un luxe ostentatoire. Et l’on
voyait Isabelle et Valentine s’entretenir souvent ensemble, discourant en toute
amitié. Mais les princes avaient trop le nez fin pour ne pas sentir le feu des
antagonismes qui couvait. À l’exemple du grand schisme d’Occident qui divisait
et affaiblissait la Chrétienté, la cour royale de France se fissurait.
Isabelle brillait de toute sa souveraineté : elle
avait appris à paraître. La présence de son frère et de ses payses la
confortait d’une puissance renouvelée. Louis le Barbu l’avait comblée de
cadeaux, outre son Autan, il lui avait offert un adorable chiot, une levrette
couleur perle, qu’elle avait nommée Perldemay, car on était en mai.
— Perldemay est un lévrier nain, lui avait
dit son frère. C’est une race véloce et futée. Bien dressée, elle fait
merveille à dérober le gibier aux oiseaux de proie. Depuis sa naissance, je l’ai
habituée à Autan, continue de même, ils feront bel équipage.
Isabelle fut au comble du bonheur la première fois
qu’elle chassa l’épervier avec Autan, galopant sur sa fougueuse Alezane, et
Perldemay, trop jeunette pour suivre le train, enfouie dans ses jupes. Quant au
roi, il avait attribué quatre mille francs or sur sa cassette personnelle pour
les travaux de la maison de Pont-Perrin, maison qui avait enchanté son frère et
ses courtisans, et ravi les dames germaniques. Et l’argent de la future Grande
Croisade affluait dans ses enfouissements. Elle se sentait plus forte. Tout
semblait
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