Duel de dames
allé jouer, ébattre
et chasser sur les chemins de Pampelune, au bois de Sauve-Terre. Il chassa un
ours toute la matinée, jusques à la haute nonne, lequel ours fut pris, la curée
faite. « Bien, dit-il, allons dîner ! ce jour a été âprement chaud. »
Et là s’assit sur un siège, devisa des chiens, lesquels avaient mieux couru, et
tendit les mains pour laver. Sitôt que l’eau froide descendit sur ses doigts, son
visage pâlit, le cœur lui tressaillit, les pieds lui faillirent. Il dit :
« Je suis mort. Sire vrai Dieu, pitié. » On le coucha, et moins d’une
demi-heure, il rendit son âme moult doucement. Dieu par sa grâce lui soit
miséricordieux !
D’après les Chroniques de Froissart [44]
Isabelle galopait, remontant à bride abattue la
longue voie romaine qui menait à la porte Saint-Martin, précédée de trois de
ses gardes. Depuis le matin, elle trépignait d’impatience, elle avait revêtu sa
tenue de petit page, bien peu compatible avec son sexe et son rang, qu’elle
affectionnait pour chevaucher à l’aise. Elle avait fait tenir Alezane prête. Dès
que son frère avait été annoncé en vue des fortifications septentrionales de
Paris, elle avait enfourché Alezane à la manière des hommes, et s’était élancée
à sa rencontre. Les aboyeurs et les gens de la maréchaussée étaient sur les
dents depuis le matin. Ils avaient fort à faire pour dégager les voies
parisiennes de leurs encombrements, de la porte Saint-Martin jusqu’à la
résidence royale de Saint-Paul. À grands coups de gueule et de bâtons :
« Place ! place ! à monseigneur de Bavière ! »
ils s’activaient à faire relever les vantaux des étals, dégager les charrois et
les chalands, faire rentrer les habitants chez eux, pour le passage du train
des nobles arrivants bavarois. Isabelle et ses gardes avaient trouvé la place
vacante et pouvaient y forcer l’allure. Ils avaient pris la rue Saint-Antoine à
senestre, avaient tourné à dextre au carrefour de la rue d’Arcis, et
remontaient à présent la rue Saint-Martin. Le soleil faisait luire les pavés
encore mouillés de l’orage de la nuit, les poules indisciplinées s’écartaient à
grands coups d’ailes et de caquetages indignés au passage des cavaliers. Les
chevaux durent sauter par-dessus plusieurs cochons qui se vautraient dans une
retenue d’eau boueuse du pavement, et que la maréchaussée fit aussitôt
déguerpir à grands coups de triques dans un concert de grognements paresseux.
Elle le vit enfin, à la hauteur du Bourg l’Abbé. Il
se tenait en tête de ses chevaliers et de ses porte-étendards. Derrière lui, les
fuselés de Bavière claquaient fièrement au vent. Elle ralentit l’allure, alors
que le son des trompes immobilisait le convoi. Alezane s’arrêta, frémissante, couverte
d’écume, soufflant des naseaux, secouant de la tête. Louis pressa des genoux
son cheval pie qui avança jusqu’à la reine. Frère et sœur se regardèrent, se
reconnurent, se sourirent. Le sourire de Louis s’épanouit dans sa barbe lorsque
Isabelle avisa l’épervier qu’il tenait sur son poing gauche, la tête encagoulée
de cuir et surmontée d’une aigrette blanche.
— Est-ce possible ? balbutia-t-elle. Est-il
ce que je crois ?
— Voyons s’il te reconnaît mieux, dit Louis
en ôtant le chapel qui aveuglait l’oiseau.
Celui-ci tourna le cou jusqu’à l’envers de son
corps, gonflant son poitrail blanc strié de brun, les yeux arrondis de courroux,
barrés de sourcils de plumes qui lui faisaient le regard mauvais. Le frère d’Isabelle
fouilla de sa main dextre dans une besace qui pendait à sa monture, en sortit
un gant épais et le lança à sa sœur qui s’en saisit avec adresse. Incrédule, le
cœur battant, elle passa le gant sans quitter l’oiseau des yeux. Enfin, dressant
le poing, elle émit un sifflement modulé. L’épervier tourna vivement la tête, la
pencha d’un côté, puis de l’autre, comme pour mieux entendre, mieux voir. Louis
détacha la chaînette qui reliait une patte de l’animal à son poignet. Isabelle
siffla encore, dressant plus haut le poing. L’épervier se décida, se ramassa
sur lui-même, s’élança et, en trois battements d’ailes, s’abattit de ses serres
sur le gant de la reine qu’il se mit à becqueter furieusement, cherchant en
vain la chair fraîche qu’il attendait.
— Autan ? souffla-t-elle. Se peut-il qu’il
soit encore vivant ?
— Et que crois-tu
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