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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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de Bois-Bourdon
l’y rejoignit. Il était en grand arroi sombre, sur lequel tranchait la neige de
son surplis, blessée de la croix écarlate du croisé. À le voir ainsi accoutré
de l’emblème de sa défaite, le cœur d’Isabelle se rompit. Il lui sembla même ne
pas le reconnaître tant ses joues s’étaient creusées, accusant son profil d’aigle.
Son regard était plus terrible que jamais, et son léger strabisme lui donnait
cette acuité qui fouaillait. Elle crut recevoir comme un coup de couteau dans
le ventre, elle se roidit, ignorant la douleur soudaine. Et le temps se figea.
    *
    Elle lui fait face, plus roidement encore, il
approche, à la toucher. Ils se regardent intensément, rivés si longtemps qu’elle
ne le voit plus. Elle fixe un point infiniment lointain, un point de non-retour,
d’un regard qui transperce le corps du croisé, un corps crucifié. Il plie le
genou devant elle, baise le bas de sa robe.
    — Pardon, madame.
    Elle ne le voit pas se relever, car, devant ses
prunelles, papillonnent des petits bourdons noirs. Elle ne voit pas les larmes
du chevalier qui lui ravagent le visage. Elle ne le voit pas la quitter alors
que les bourdons dansent la sarabande dans sa tête et dans ses yeux. La douleur
lui taraude les entrailles. Quelque chose de visqueux sourd entre ses jambes, serpente
le long de ses cuisses. Ses oreilles vibrent, son crâne est pris dans un étau. Les
bourdons dansent de plus en plus nombreux, si nombreux que tout devient noir.
    Elle gît sur le dallage, la jupe de sa robe est
souillée de sang.
    Au-dehors, la résidence royale résonne de cris d’allégresse.
« Noël ! » Les petites gens des cours basses arrivent comme une
houle, tapant sur des chaudrons et des casseroles, soufflant dans leurs
flûtiaux. Tous convergent avec chahut vers le point de ralliement, la vaste
cour des Jeux qui sert aussi aux exercices militaires. Des tables y sont
dressées, et les victuailles débordent, le vin et le lait coulent des fontaines.
Les preux s’y assemblent en bon ordre et grande armure sous le surplis du
croisé, coiffés de cimiers extravagants de luxe. Ils chevauchent hardiment
leurs montures caparaçonnées de blasons et de découpes de soies multicolores. Les
chevaux piaffent de nervosité sous une forêt d’oriflammes, où domine la Sainte
Croix. Le spectacle est si exaltant que la foule est en délire. Enfin à sixte
sonnante, alors que le soleil est à son zénith, la colonne des chevaliers s’ébranle
vers le grand portail qui débouche sur la rue Saint-Antoine. Les Parisiens les
y attendent depuis l’aube, la foule se fait multitude, elle course dans la
cohue l’éblouissant défilé jusqu’à la Bastille, dans le concert des cloches de
Paris, des grandes envolées de chapeaux, des rugissements d’adulation et du
charivari des ménestrels.
    Hors des remparts, les villageois des faubourgs
prendront la relève. Ainsi, aux quatre coins du royaume, les villes et les
cités salueront dans la liesse les soldats du Christ, jusqu’au grand
rassemblement de Marseille.
    *
    — Ce n’était pas vos menstrues, Isabelle. C’était
une fausse couche.
    Une fausse couche ? Elle ne savait pas qu’elle
était grosse.
    — J’aurais dû vous en avertir, madame, poursuivit
Ozanne, je m’en doutais à votre fatigue, vos étourdissements, à vous voir si
souvent nauséeuse.
    C’était l’enfant de Bois-Bourdon, l’enfant de leur
ultime nuit d’amour. Il ne lui restait plus rien de lui, le Seigneur, pour la
deuxième fois, ne l’avait pas voulu.
    C’était aussi l’ultime secret que cèleraient
Ozanne de Louvain, Catherine de Fastavavin et Jean la Grâce, les
trois fidèles gardiens de son amour adultère, au péril de leur vie.
    Pour les mêmes raisons de secret, elle ne respecta
pas le mois de ses relevailles [43] qu’elle devait à
Dieu. Elle ne lui devait rien, Il lui avait tout pris.
    Dans la nuit qui suivit les douleurs de ce vain
enfantement, Isabelle fut la proie de cauchemars terrifiants, malgré la tisane
de pavot que lui avait fait boire Ozanne.
    — Que voulais-tu qu’il fasse, Basileia, qu’il
reste dans ton giron et qu’il te perde ?
    C’était la voix de Zizka qui lui parlait dans sa
désolation.
    — Mon trépas aurait été préférable.
    — Ton heure viendra, tu as du temps encore. Omnis
vallis implebitur !
    — Toute vallée sera comblée, traduisit
Isabelle qui avait appris le latin comme toutes les nobles dames. Ce n’est

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