Duel de dames
tant attendu : le mardi 6 février de l’an
du Seigneur 1392, la reine avait mis au monde un fils, Charles, dauphin de
France.
La souveraine avait exigé pour son accouchement
que lui fût apporté en grand secret le Saint Prépuce de Jésus de l’abbaye de
Coulombs. La croyance lui prêtait fécondité, accouchement facile et la venue d’un
enfant mâle. La bulle d’or qui le contenait fut ôtée de son reliquaire d’argent
et suspendue à son cou pendant le travail. Elle ne se doutait pas que la
duchesse d’Orléans avait fait de même avec l’homoncule d’une fausse couche. Par
Dieu ou par le Diable, il fallait forcer la Nature à engendrer des héritiers.
— La sainte relique a tenu toutes ses
promesses et m’a donné un fils, dit-elle avec lassitude, mais heureuse. Qu’elle
lui prête aussi longue vie. Les enfants passent si facilement !
— N’y songez pas, lui répondit Ozanne à son
chevet. Il vivra, après la fille, c’est le fils de Sappho.
La reine, éclatant de rire, lui donna la main avec
complicité. Elles avaient gagné leur guerre contre Valentine Visconti qui n’était
plus que désolation.
Ce fut en ce jour d’allégresse que Craon fit un
faux pas, tombant dans le piège que lui avait tendu Bois-Bourdon avant son départ.
Face à l’affliction de la duchesse d’Orléans dont
le ventre restait vide, il crut bon de la réconforter. Il faut dire qu’elle
était bien seule, son époux était parti fêter la naissance du Dauphin, ou s’en
consoler, chez son trésorier, un certain Poulain qui tenait maison ouverte à la
Croix-du-Trahoir. Il y allait souvent depuis quelque temps, il lui arrivait
même d’y dormir : il y avait bons lits, bonne chère, bons vins, et belles
dames. Valentine sentait son époux lui échapper, non qu’il ne fît pas son
devoir de génération, il espérait trop un héritier, mais il ne mettait plus la
même fougue à la « punir ».
Aussi, ce fut dans les bras du sire de Craon
qu’elle pleura tout son saoul. Il la câlina, lui dit des paroles douces, et ses
caresses se firent de plus en plus hardies, et les mots de plus en plus
explicites. Enfin il perdit toute mesure. C’est alors qu’elle s’en défendit. Mais
Craon avait trop entendu les confidences du duc d’Orléans pour ne pas savoir
que sa femme aimait se soumettre à la violence, aussi en abusa-t-il. Il en
abusa tant qu’il la jeta sur sa couche en défaisant sa brayette. Elle se
débattit avec fureur, hurla, lança des appels au secours tandis qu’il la
troussait sans ménagement, s’imposait entre ses jambes, tentait de la pénétrer de
force.
— Il est des cris, lança une voix furieuse, qui
ne sont pas bons à entendre quand ils ne sont pas de volupté !
Surpris, le sire de Sablé se retourna. Capucine
se tenait planté de toute la hauteur de sa petite taille, les deux poings sur
ses hanches.
— Que sais-tu donc de la volupté, nabot ?
hurla Craon, maîtrisant toujours Valentine qui se débattait de plus belle. Sors
d’ici !
— Après vous, monseigneur !
Le sire de Sablé, rendu furieux de
frustration, ne lâchait toujours pas la jeune duchesse.
— Sors d’ici, ordonna-t-il de nouveau en
bataillant. Ou je prends mon épée et je te coupe en deux.
— Il m’en restera toujours assez pour tenir
ceci !
À voir le nain qui tenait soudain une dague au
poing, Pierre de Craon resta si médusé que Valentine en profita pour s’enfuir,
et se réfugia derrière le fou qui lui arrivait à la taille. Le spectacle fit
rugir de rire le triste sire.
— Quel beau rempart que voilà !
— Rentrez votre marchandise, Craon, M me d’Orléans
n’est pas preneuse ! (Le pénis turgescent du Breton jaillissait toujours
hors de son pourpoint.) Rentrez-le ou je le tranche.
— Quittez ces lieux, messire, ordonna
Valentine d’une voix blanche, ou je vous fais jeter dehors par mes gardes.
Craon se réajusta, rouge de colère. Il descendit
du lit, le nain s’avança et lui pointa son poignard sur le bas-ventre.
— Permettez que je vous raccompagne à la
porte, monseigneur.
Le Breton se mit à reculer sous la pression
menaçante. Il apostropha Valentine :
— Il est fort méchant de m’avoir fait
accroire que j’étais en votre amour, madame.
— Dehors, hurla la duchesse.
— Je ne voulais que vous donner consolation, dit-il
encore.
Capucine poussa la lame qui le piqua cruellement
au ventre, Craon fit un bond en arrière. La douleur et
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