Duel de dames
pour déloger l’antipape Boniface IX. Il mobilisa le ban et l’arrière-ban
de son royaume, si bien que le pape Clément VII d’Avignon, certain qu’il
tenait sa victoire, se mit à faire ses bagages, prêt à occuper le siège pontifical
de Saint-Pierre. Cette fois, Louis d’Orléans en serait, et, du même coup, il
comptait porter assistance à son beau-père, Jean-Galéas de Milan, sous la
bannière de Saint-Denis, pour soumettre la riche Florence des Médicis. Il en
espérait bien plus encore, car le pape Clément lui avait promis les terres
papales en Italie, qu’il ne manquerait pas de confisquer au pape de Rome déchu.
C’était aller un peu vite. Le roi Richard II
d’Angleterre, rompant la trêve, fit savoir qu’il passerait la Manche si les
Français passaient les Alpes. Le serpent se mordait la queue : pour faire
bonne croisade, il fallait rompre le schisme, pour rompre le schisme, il
fallait la paix avec l’Anglais. Rien ne pouvait se résoudre, on était dans une
impasse.
En sous-main, les oncles des Fleurs de lys avaient
œuvré pour ce nouveau fiasco. Ils avaient usé de leurs influences, excitant l’Anglais
et le Breton contre le Français, les pays d’obédience romaine contre les
intentions belliqueuses du roi de France, faisant échec de toutes les manières
possibles au projet des Marmousets et de leur neveu, mais aussi à celui d’Orléans
qui avait bien trop à gagner à cette campagne de Rome.
À la déception du roi vint s’ajouter celle de la
naissance, en l’an 1391, le 24 janvier, d’une fille. Elle fut appelée
Jeanne, en mémoire de la petite défunte. Isabelle l’en consola avec courage :
« Nous recommencerons bientôt, lui promit-elle, et ce sera un fils. »
Les oracles de l’astrologue Ambrogio de Migli
se confirmaient, et ce fut dans cette parfaite confiance que Valentine, portant
haut sa grossesse, visita sa cousine durant le mois des relevailles.
— Il est vrai qu’un fils aurait prévalu, lui
dit-elle d’un air parfaitement contrit, il en va ainsi de la nature. Ambrogio de Migli
m’assure qu’il est des semences plus femelles, et d’autres davantage mâles. Le
roi, sans doute, possède la première. Espérez, gentille cousine, cela n’exclut
pas la venue d’un garçon… parfois.
Cette perfidie désola la reine car elle s’avisa
que Charles ne lui avait donné que des filles, son premier-né était du sire de Graville.
Ozanne de Louvain tenta de la rassurer, cette histoire du sexe de la
semence n’existait que dans les délires de l’astrologue italien, qui se disait
nécromancien de surcroît. D’ailleurs existait-il ? Il n’apparaissait
jamais à la Cour.
La dame de compagnie était en colère, Jeanne
nouvelle-née était aussi la sienne, elle se l’appropriait en l’appelant l’enfant
de Sappho.
— Madame Valentine sera punie de ses
mauvaises paroles, affirma dans sa fureur la douce Ozanne.
Valentine fut punie en effet, mais sans rassurer
toutefois la reine sur ces histoires de sexe de semences. En mai, la duchesse d’Orléans
accoucha bien d’un garçon, Charles. La délivrance fut longue et difficile, dès
que la tête de l’enfant avait enfin émergé du ventre de sa mère, les matrones
avaient compris, et l’avaient ondoyé avant de le sortir entièrement. Il était
mort-né.
La souffrance de Valentine fut grande comme l’avaient
été ses couches. Louis, étonné, ne reconnaissait pas son épouse dans son
silence douloureux et fermé : pas de démonstrations explosives, pas de
cris, pas de contorsions de douleur ostentatoires. Elle n’avait pas de larmes, elle
souffrait en dedans, plongée en oraisons et égrenant les grains de son chapelet
de nacre. Non loin de la chambre de la parturiente gisait le nouveau-né dans
son minuscule cercueil, et chacun pouvait encore le voir, entouré de chandelles
et de pleureuses qui lançaient leurs lamentations à la mode italienne, et de
nonnes en prière.
Louis prodigua à son épouse toute la compassion
que sa propre déconvenue lui permettait. Nulle parole ne pouvait arracher son
épouse de sa prostration. Il la quitta, en tirant les courtines du lit sur l’inconsolable.
Il lui fallait, à vêpres, porter le petit prince à Saint-Denis, il devait se
faire apprêter pour le triste cérémonial. C’est en partant qu’il vit, sur la
tablette de la dame à atourner, la bulle qui l’avait tant intrigué. Sans doute
une matrone la lui avait-elle retirée, car
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