Duel de dames
Valentine ne l’ôtait jamais de son
cou. Souvent, il avait surpris son épouse avec ledit objet, le posant sur ce qu’il
mangeait ou buvait. Il avait feint de ne pas la voir, il la savait
superstitieuse. Pourtant l’occasion était trop belle, il n’y résista pas, et se
saisit du bijou avec sa chaînette, le regarda, le secoua à son oreille. Quelque
chose de dur faisait sonner légèrement la bulle, ce n’était pas un bref de
parchemin. Il fit ce qui lui était interdit, il poussa le petit fermoir et la
bulle s’ouvrit. Elle contenait une sorte de fève noirâtre, mais, à y regarder
de plus près, c’était plutôt un caillou oblong, taillé de façon à imiter un
homoncule. On distinguait nettement le corps enroulé, la tête fichée de deux
points plus foncés, les bras et les jambes où s’amorçaient les mains et les pieds
avec leurs doigts. Il avait déjà vu cette figurine en sa librairie, dans un
vieux manuscrit de médecine arabe où étaient dessinées les diverses étapes de
la croissance de l’enfant dans le sein de sa mère. Était-ce là le mystère de
Valentine ? Elle avait fait tailler dans une pierre l’image d’un fœtus de
quelques mois, une amulette de la fécondité sans doute, pensa-t-il en souriant.
Il avait fallu l’art d’un orfèvre pour cela, bien que le travail en fût
grossier.
C’est alors qu’il sentit le souffle de sa femme
derrière lui.
— Il ne fallait pas l’ouvrir, dit-elle, la
voix brisée. Le charme est rompu.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il
avec une indifférence qu’il ne ressentait pas.
— Ton fils Charles.
Louis resta interdit.
— Charles ? Mais il est mort !
— Il est mort, il y aura un an de cela en
novembre prochain. Combien vous, les hommes, avez peu de souvenance de la
douleur des femmes. Alors que tu t’esbaudissais dans le Midi, je le perdais
dans les tourments de l’avortement.
Louis s’en souvenait, il l’avait appris, mais n’y
avait guère prêté attention.
— Mais cette… chose, c’est une pierre, rien
qu’une pierre, s’affola-t-il en reposant le bijou avec répugnance.
Elle le récupéra avec précaution et referma la
bulle sur son mystère.
— C’est ton fils Charles, premier-né si Dieu
l’avait voulu, dit-elle en le portant à ses lèvres.
— Cela ne se peut, il ne serait que
pourrissement, il ne serait même plus, nia-t-il avec une grimace de dégoût.
— Ambrogio de Migli sait faire d’étranges
miracles avec ses macérations, et donner l’immortalité du minéral à la mort.
Valentine, en un état second, se rendit dans la
chambre mortuaire. Accouchée de la nuit, durement éprouvée, elle ne tenait
debout que par miracle. Elle s’approcha du petit cercueil, baisa encore la
bulle, et accrocha la chaînette au minuscule cou fripé du mort-né.
— Charles, je te donne à Charles, dormez
ensemble en paix dans le sommeil des chérubins.
— Tu ne peux, s’exclama le jeune duc horrifié.
Cette… chose n’a pas été baptisée.
— Il sera béni ce soir avec son frère, dans
la crypte de Saint-Denis.
Louis, n’y tenant plus de répulsion, prit la fuite.
— Charles, murmura-t-elle encore, ton
enchantement à présent est rompu, mais il a donné corps à ton frère Charles. Dieu
ne lui a pas donné vie. Que Sa volonté soit faite. Il n’y a plus que Sa
miséricorde à présent, pour me donner vif, un fils.
Alors qu’elle s’affaissait, les pleureuses se
précipitèrent pour la soutenir. Dans un long lamento, elles la
ramenèrent à son lit.
Deuils et déceptions successorales, la lignée des
Valois, jusqu’à sa branche cadette, était-elle maudite ? Le bruit en
courut aussitôt.
Isabelle démontra bien que non. En juin de la même
année, elle était à nouveau enceinte. Elle était bien la reine des abeilles, et
faisait provision de la semence de son époux, grâce aux bons soins de l’amour d’Aphrodite.
10
Des fièvres et d’un attentat
Je suis veuve, seulette et de noire vêtue,
À ce triste visage simplement affublée ;
En grand courroux de manière doulourée,
Porte deuil très amer qui me tue.
N’oubliant l’amour de ma foi,
Promise à lui, d’autre n’aura.
Christine de Pisan
Paris était en liesse, les cloches sonnaient d’allégresse,
se répondaient de faubourgs en hameaux. Le bon peuple dansait et chantait aux
carrefours des rues. Des coursiers furent dépêchés par tout le royaume pour
annoncer l’heureux événement
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