Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
Vom Netzwerk:
l’après-midi, et
Isabelle commençait seulement à se remettre de sa grande peur.
    Jeanne jouait toujours avec son éponge, elle
attrapa du bout de ses doigts mouillés un cotignac, qu’elle enfourna avec un
plaisir non dissimulé et enchaîna, la bouche pleine :
    — Chi moncheigneur n’était pas venu à moi, je
ne cherais pas venu à lui, dit-elle en chuintant, voilà qui fait toute la
différenche.
    Isabelle éclata de rire. Jeanne lui faisait
irrésistiblement penser à Catherine l’Églantine, sa petite belle-sœur, la
cadette des Valois, morte à huit ans. Comme cette adorable enfant tant
regrettée, la duchesse de Berry était gourmande et bavarde comme une pie. Si
ce n’étaient les yeux de biche couleur d’antimoine de Jeanne, la petite
Catherine lui aurait ressemblé au même âge. Isabelle avait plaisir à l’entendre
pérorer.
    — Videz votre bouche, madame, et racontez-moi
encore.
    — Che l’ai fait trois fois décha !
    — Je ne m’en lasse pas, peut-on se lasser d’un
miracle ? Et vous avez toujours un petit détail qui enjolive votre récit.
    Jeanne prit le temps d’avaler sa pâte de coings.
    — Il faut commencer par dire que, comme tout
le monde, ces sauvages m’ont fait grande frayeur, car c’est ainsi que je me
représente les démons. Et puis l’un d’eux vint droit sur moi. Il n’était pas
attaché comme les autres. D’abord, j’ai crié à le voir ainsi gesticuler et me
peloter de ses mains pleines de poils. Puis je me suis fâchée : « Nommez-vous,
messire le satyre », lui ai-je dit sévèrement. « Vous m’avez nommé
vous-même ! Je suis un satyre qui rêve de trousser la nymphette que voilà. »
(Elle jeta un coup d’œil inquiet à la reine, mais celle-ci riait.) Pardonnez-moi,
madame, mais c’est ce qu’il m’a dit avec force grimaces. Je vis bien là que
tout n’était que plaisanterie, et, en dépit qu’il avait travesti sa voix, je
reconnus le roi à ses manières. Et puis, il se fit d’étranges lueurs dans la
salle, il dit en les voyant : « Quelles sont ces jolies flammes
bleues qui dansent sur le bal ? » Je les vis aussi, et bientôt je
compris que les sauvages brûlaient et que ce n’était pas par plaisanterie. Monseigneur
le comprit aussi, il tomba à genoux et dit : « Seigneur, ayez pitié
de nous ! » Et il se mit à pleurer. Je vis bien comment le feu se
boutait aux poils avec célérité et ampleur. Alors Dieu m’a inspirée, je
recouvris le roi de mes jupes et de ma houppelande, et le serrai fort contre
moi car il faisait mine d’en vouloir sortir. « Tenez-vous quiet, sire, sinon
vous arderez comme les autres. » C’est alors que je vis que l’on vous
emportait, privée de sens.
    La voix de Jeanne s’étrangla. Elle ne pouvait
raconter la suite, la fumée noire et poisseuse, l’odeur abominable de chair et
de poils grillés, les hurlements de douleur, les sauvages qui se convulsaient
sur le sol, les efforts pour les éteindre, l’épouvante de l’assemblée qui
fuyait.
    Ne pouvant bouger, tenant le roi fermement, la
jeune duchesse avait assisté, impuissante, à toute cette horreur, le visage
baigné de larmes. Quand enfin on était venu à bout du feu, quatre corps
gisaient, contorsionnés, noirâtres, affreux, un seul se tenait debout, ruisselant
d’eau, figé, contemplant ses compagnons.
    — C’était le sire de Nantouillet, reprit
Jeanne, poursuivant son récit à voix haute. Il avait réussi à se délier des
autres et avait eu la bonne idée de se jeter dans un cuveau où l’on rinçait les
hanaps et les tasses. Alors, je fis sortir le roi et lui dis d’aller prestement
se nettoyer, se changer et de remettre son garnement, afin de ne pas vous
effrayer davantage, avant d’aller vous rassurer sur sa vie.
    Isabelle resta pensive, le visage pâle et défait. Une
chambrière cria : « Gare à l’eau ! » et attendit que les
dames remontent les jambes avant de verser dans la cuve un seau d’eau fumante
pour réchauffer le bain. Elles battirent aussitôt des pieds pour échapper à la
morsure de la chaleur et la répartir au plus vite.
    — Tu veux nous faire cuire, Nicolette, lança
la reine à la jeune fille.
    — Que nenni, vous êtes ainsi trop belles à
croquer toutes crues ! s’exclama celle-ci, quittant la chambre des étuves
en riant.
    L’impertinence de Nicolette avait tiré la reine de
ses pensées moroses, elle voulait effacer de sa mémoire le cri terrible :
« Sauvez le

Weitere Kostenlose Bücher