Duel de dames
roi ! » qui l’avait fait sombrer dans un gouffre
noir. Quand elle avait recouvré ses esprits, dans la chambre où on l’avait
portée, elle avait appris que le comte de Joigny avait expiré dans les
bras de ceux qui l’emportaient, qu’Yvain de Foix, Aymeri de Poitiers,
Huguet de Guisay étaient tenus comme agonisants tant ils étaient
cruellement ardés. Du roi, personne ne pouvait rien dire, elle le pensait mort,
quand il avait fait son apparition. Elle en avait eu un nouveau malaise de
saisissement. Il lui avait demandé pardon à genoux, lui avait embrassé les
mains, avait pleuré et fait son mea culpa. Il avait expliqué, la voix
entrecoupée de sanglots, que l’idée en était venue à Huguet de Guisay. Ses
Plaisants Cousins en avaient été tout excités et s’étaient esbaudis, dans la
chambre des Ménestrels, à se grimer de si fâcheuse façon : une toile
cousue à même le corps nu, enduite de poix et de glu pour coller des poils de
lin. Le lin, en s’enflammant, avait fait fondre la poix comme huile bouillante,
c’est elle qui avait fait tout le mal en pénétrant les chairs et qui avait
rendu le feu si difficile à éteindre, les sauveteurs s’y échaudaient aussi.
« Pourtant, je connaissais le danger, n’avait
cessé de répéter Charles pendant le retour à l’Hôtel. J’avais ordonné aux
huissiers de moucher les chandelles de peur qu’une étincelle ne tombât sur nous.
Mon pauvre frère est si marri, il ne savait pas. »
Outre les sauvages, il y avait eu des blessés, certains
avaient de méchantes brûlures aux mains, d’autres avaient été contusionnés ou s’étaient
brisé un membre dans la panique.
Le roi était indemne, pensait la reine, était-ce l’élixir
de Nicolas Flamel qui protégeait l’intégrité du corps de Charles ? Ou son
divin pouvoir avait-il mis sur le chemin du roi la jeune duchesse de Berry
de façon si providentielle ? Elle se plaisait à le croire, car enfin, s’il
était grandement affligé de ce cruel événement, sa santé ne paraissait pas en
avoir été ébranlée, et il avait gardé tous ses esprits.
Isabelle tendit les mains à Jeanne et les
étreignit :
— Belle dame, le royaume tout entier vous
sera éternellement reconnaissant de votre courage.
— Madame, lança Ozanne de Louvain en
surgissant dans la chambre des étuves, il faut vous apprêter en hâte. Il y a
foule aux grilles de l’Hôtel. Ils réclament le roi, qu’ils croient mort encore
une fois, et menacent de tout envahir et de nuire, s’ils ne le voient vif de
leurs yeux. Charles vous veut à ses côtés, madame, ainsi que son frère.
La nouvelle de la tragédie du Bal des Ardents s’était
propagée dans Paris. Elle avait soulevé une juste indignation, et, comme d’habitude,
les rumeurs allaient bon train. Il se racontait que le souverain avait péri
dans les flammes et que son frère y aurait mis le feu. Et Charles le Bien-Aimé
était mort en état de péché mortel, car il se jouait, ce soir-là, un charivari
impie où moult chevaliers déguisés en bêtes [67] étaient décédés.
La révolte grondait, les Parisiens se disaient las
des débordements de la Cour, ils accusaient les courtisans d’entraîner leur
souverain dans une ruineuse débauche, et menaçaient de massacrer tout le monde.
L’Hôtel royal tremblait.
Charles, revêtu en majesté de sa houppelande fleurdelisée,
apparut enfin à une haute fenêtre qui donnait sur la rue Saint-Antoine, envahie
d’une multitude vociférante qui brandissait le poing, dont beaucoup étaient
armés d’outils. Charles apaisa la fureur du peuple en le saluant longuement, puis
il baisa la main de la reine et serra longuement contre lui le duc d’Orléans. Par
ce geste, il montrait à tous que son frère était innocent et qu’il avait plus
que jamais son amitié. « Noël ! Noël ! » cria la foule, qui
fut bientôt en liesse.
Quand le roi se retira, les bonnes gens
regagnèrent leurs pénates, non point satisfaits, mais rassurés. L’Hôtel soupira
de soulagement, particulièrement Louis d’Orléans, qui avait retrouvé dans cette
fâcheuse manifestation populaire la terreur de ses dix ans. Mais il savait que
ce n’était pas fini, il resterait toujours le doute qu’il eût
intentionnellement bouté le feu aux sauvages. Après les poisons et la
sorcellerie, voilà qu’il se dirait ouvertement qu’il avait voulu assassiner le
roi. Il avait quitté le bal avec le duc de Berry pour
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