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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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trouvaient
augmentés et prêts à jaillir de leur corselet, et sous laquelle leur giron
rebondissait. À croire que la plupart des femmes étaient enceintes.
    — Vous êtes l’étoile de la Cour, madame, à
vous voir grosse si souvent, et, depuis l’annonce du roi, la mode est venue des
ventres ronds, tant vous êtes enviée.
    On m’envie ? Des ventres ronds affichés ?
Isabelle avait lancé une mode à son insu. Il est vrai que Charles avait annoncé
la nouvelle espérance royale avec un orgueil non dissimulé. Il était fier d’avoir
une épouse si féconde. Elle le chercha du regard mais ne le vit point, comme
ses Plaisants Cousins, comme Orléans, tous avaient mystérieusement quitté le
bal. La reine accrocha du regard Valentine qui menait le branle. Elle avait
aussi adopté cette nouvelle mode. Comment savoir si c’était pour de vrai ou
pour de faux ? Faux, sans doute, car sa rivale l’aurait annoncé sans
tergiverser. Isabelle ressentit un sentiment de jubilation, elle n’était pas
vieille, elle était l’étoile de cette cour, ses grossesses à répétition
rendaient les femmes envieuses au point d’en faire une mode.
    Jeanne de Boulogne rejoignit la danse, dans
un grand éclat de rire insouciant, sur l’insistance de Jacques Thibaut, un
ancien valet, disait-on, faiseur de chausses, devenu homme de cour par le bon
plaisir du Camus. Thibaut était un homme du vulgaire, sans conseil, ni nul bien,
que le duc avait enrichi de joyaux et d’or comme s’il l’avait dans le cœur. Isabelle
songea à la rumeur qui disait que le duc de Berry préférait, en son vieil
âge, les jeunes garçons, après avoir préféré les fillettes [63] . En regardant
Thibaut danser, elle vit aussi qu’il était un magnifique spécimen malgré sa
roture. Berry n’était pas un pervers, préféra-t-elle penser, mais un bâtisseur
infatigable et aussi un collectionneur d’œuvres d’art. Grand mécène, il aimait
la beauté, qu’elle soit de chair ou représentée. Jacques Thibaut était un
modèle, comme Jeanne de Boulogne.
    Elle sursauta, tirée de ses réflexions par l’entrée
de bateleurs aux couleurs criardes, coiffés de bonnets à triple cornet terminés
par des clochettes. Ils envahirent la salle, tapant à louche déployée sur des
chaudrons, des casseroles, des bassines, repoussant les danseurs sur les côtés.
Le maître de cérémonie les précédait et fit un geste en direction du balcon où
se tenaient les musiciens, aussitôt, ceux-ci firent grincer leurs cordes et
soufflèrent faux, dans un horrible tintamarre. À cette cacophonie, les
courtisans se bouchèrent les oreilles, tout en riant. Une armée de valets, munis
de longues perches coiffées d’un éteignoir, mouchèrent les bougies des
couronnes de lumière. Malgré les centaines de chandelles, bientôt il ne resta
plus que celles du déambulatoire, et la chambre d’Ulysse fut plongée dans une
inquiétante pénombre.
    Isabelle se leva, elle vit Catherine de Fastavavin
et Etzel d’Ortembourg qui se tenaient par la main, se frayant un passage jusqu’à
elle.
    — Il est l’heure, souffla la chambellane en
riant, je crois qu’il va nous en être compté.
    — Je le crois aussi, sourit la reine. Voyons
quel charivari on nous réserve cette fois.
    Le charivari était une tradition païenne à l’occasion
du remariage d’un veuf ou d’une veuve, et Catherine, qui l’était trois fois, s’y
attendait. Ces manifestations étaient généralement fort licencieuses, souvent
obscènes, formellement interdites par l’Église. À l’origine, elles avaient pour
but d’apaiser l’âme du défunt, mais la raison s’en était perdue dans la nuit
des temps.
    Bientôt, la salle assombrie se vida des bateleurs
et des valets. Les musiciens se turent, un silence inquiétant s’installa, percé
par des rires d’excitation étouffés.
    Des beuglements de bêtes, atroces et inarticulés, éclatèrent
soudain en provenance du portail dont un seul pan se trouvait ouvert. L’assemblée
aussitôt se mit à crier de surprise. Et bientôt l’on vit une procession de
sauvages gesticulants et braillants se glisser par l’ouverture. De la tête aux
pieds, y compris le visage, ils étaient couverts de poils d’une façon horrible
et avaient la taille ceinte d’un énorme phallus en bois sculpté qu’ils
maniaient de façon déshonnête. Les musiciens entamèrent alors un branle
trépidant, et les sauvages suivirent le rythme dans une danse

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