Eclose entre les lys
réjouissances et des
bonnes dispositions du roi, Mézières conseilla à Isabelle de demander à être
sacrée. Un sacre ! Outre qu’elle en serait hissée plus haut encore, le
temps de la cérémonie pouvait donner un retard mortel au départ de l’Écluse. Soucieux
de son bon plaisir, Charles VI l’envisagea sur-le-champ avec enthousiasme.
Cette fois, le duc de Bourgogne fut pris d’une grande colère. Il réussit à
convaincre son neveu que la pompe d’un sacre demandait une munificence telle
que le Passage d’Angleterre ne le permettait pas. Il est vrai que le temps
pressait, le roi abandonna le projet, et pour calmer la déception d’Isabelle, il
lui promit son sacre dès son retour.
Enfin, sous l’oriflamme de Saint-Denis, l’armée
royale partit le jour de la Saint-Martin d’été, le 4 juillet 1386. Isabelle
enragea.
— Patience, madame, l’exhorta son précepteur,
il faut savoir perdre certains coups, ils distraient la défense de l’adversaire.
Et puis nous avons encore un atout dans notre manche.
L’atout, c’était le duc de Berry, encore à
Paris, sous l’éternel prétexte qu’il n’eût pas encore réuni toutes ses
compagnies. Il avait juré au roi de les rejoindre à l’Écluse au plus tôt.
On se promit que ce serait au plus tard.
« On », c’était la conjuration. Comme l’avait
prédit Philippe de Mézières, depuis ces derniers mois, il s’organisait autour
de la reine une coalition visant à se débarrasser de la tutelle des oncles. Louis
d’Orléans, bien sûr, en était, ainsi que le sire de Craon, et toute une
coterie de jeunes seigneurs. Il en était d’autres qui restaient dans l’ombre, des
hommes d’une haute intelligence et de circonspection : les anciens
ministres de Charles le Sage que Mézières, qui était des leurs, avait rameutés
secrètement. Isabelle avait appris à connaître leurs noms, sinon leurs visages :
ils s’appelaient Jean le Mercier, Montaigu, Pierre de Giac, le sire de Noviant,
Bègue le Vilain et d’autres…
Bannis depuis six ans par les oncles de Charles VI,
ils s’étaient unis par un pacte d’alliance, qui les engageait par serment à se
soutenir mutuellement de tout leur pouvoir et à n’avoir, tant dans la
prospérité que dans l’adversité, qu’un même esprit, une même volonté, un même
but.
L’esprit commun était leur haine envers les
princes des Fleurs de lys ; leur volonté, les faire chuter ; leur but,
revenir au gouvernement. Malgré leur disgrâce, ces anciens conseillers n’avaient
jamais cessé d’infiltrer toutes les cours d’Europe, et notamment celle de
Bretagne. Prise en étau entre l’Angleterre et la France, celle-ci ne devait son
indépendance qu’à l’équilibre des forces de ses puissants voisins. Le duc de
Bretagne, Jean de Montfort, était passé maître dans l’art de passer de l’un
à l’autre, comme un funambule joue de son contrepoids. Et par conséquent, le
débarquement qui faisait trembler l’Anglais faisait aussi trembler le Breton. Il
ne fut pas difficile de les convaincre d’unir leurs deniers afin d’acheter le Camus,
tous s’accordant à penser que le cliquetis des pièces d’or était une musique
qui ne pourrait laisser indifférent cet esthète éternellement impécunieux.
Et le Camus se laissa acheter. Cependant, pressé
par le courrier de Charles VI, il dut finir par se résoudre à prendre la
route. C’était déjà la mi-août, chaque ville traversée semblait vouloir retenir
l’illustre visiteur en l’honorant de fêtes et de banquets, et l’ost du duc
de Berry progressait avec une telle lenteur qu’il semblait marcher à
reculons. De Vincennes, la reine suivait les événements, informée par Philippe
de Mézières qui lui rendait fréquentes visites.
À la fin septembre, Charles VI, qui se
sentait plus que jamais investi de l’âme de Guillaume le Conquérant, attendait
toujours les forces de son bel oncle à l’Écluse.
Jamais l’Europe n’avait eu d’armement aussi
formidable. La France était en prière, les prédicateurs avaient engagé les
habitants du royaume à réformer leur conduite, à expier leurs fautes, et à
mériter par des processions et des messes solennelles l’intervention divine
pour la victoire de leur bon roi, Charles le Bien-Aimé. La mer était calme, le
temps était beau.
Rien, rien ne manquait pour le Passage d’Angleterre
face à une Angleterre où soufflait un vent de panique. Rien ! Sauf
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