Eclose entre les lys
est manquée à jamais. »
Et dix fois, vingt fois, le roi avait rapporté à
Isabelle son retour de vaincu avec sa chevalerie. Il en étouffait de chagrin et
de déception. Ces moments de grand accablement attristaient la reine qui savait
la part qu’elle avait prise à cet échec.
Berry avait été tenu responsable de la débâcle, mais
il était depuis retourné dans son Languedoc afin de le pressurer de nouveaux
impôts, plus soucieux de renflouer sa trésorerie, semblait-il, que de sa propre
disgrâce. Bourgogne, en revanche, avait toujours la faveur du roi : pour
calmer les fureurs de son oncle, Charles VI lui avait même octroyé l’Écluse,
le meilleur port qui restait à la France sur la grande mer, ainsi que la ville
de bois historiée qui devait abriter son triomphe en terre d’Angleterre et
bercer son rêve de conquête, un rêve qui avait coûté trente fois cent mille
francs or au royaume ; et le royaume, après avoir tant payé et tant prié, grondait.
La conjuration s’employait à attiser cette colère,
désignant les princes des Fleurs de lys comme responsables de ce désastre. Le
parti d’Isabelle s’était en effet considérablement enflé après l’échec du
débarquement. La chevalerie était grandement déçue ; par ailleurs, un
certain nombre de seigneurs, qui comptaient s’établir en Angleterre afin de bâtir
une nouvelle fortune sur le dos du vaincu, avaient réalisé la totalité de leurs
biens afin de harnacher fastueusement leur équipage, et se retrouvaient aujourd’hui
ruinés. Se sentant dupés, tous ces mécontents étaient venus grossir les rangs
de la conspiration, qui portait à présent un nom secret : Montjoie
Isabelle [36] ,
du mot de passe des conjurés, en l’honneur de la reine.
Naturellement les Plaisants Cousins du roi s’y
étaient rameutés, ainsi que toute une turbulente jeunesse qui entourait le
couple royal et le duc d’Orléans. Ils y mettaient une prudence de factieux, qui
s’employait surtout à maintenir le roi dans la plus totale ignorance de leurs
menées. Montjoie Isabelle était pour eux l’occasion de réunions clandestines
dans les bordeaux ou les tavernes de Paris, à la nuit tombée, déguisés en
escoliers [37] dont ils avaient l’âge. Ils y complotaient avec délices, tout en buvant, à
savoir quelles embûches semer sous les pas du Hardi pour le faire culbuter. Les
idées étaient courtes, mais les nuits étaient longues et se terminaient en
ripailles et bacchanale.
Derrière cette fringante ébullition se tenaient
les véritables maîtres du complot : Philippe de Mézières et les anciens
conseillers du roi Charles V, chefs occultes de la conjuration.
Isabelle soupira d’aise alors que se répandait
autour d’elle un capiteux parfum ; Ozanne s’était enduit les paumes d’une
huile essentielle de violette et en caressait ses cheveux qui prirent une
luisance d’un noir profond.
— Tes mains font merveille, ma bonne amie, lui
murmura la princesse de Bavière dont le mal de tête s’éloignait. Parfois, j’ai
envie de couper ras toute cette crinière, comme celle d’un damoiseau.
— Veux-tu bien te taire, Isabelle, ce serait
un crime. Ta chevelure est une splendeur, murmura la demoiselle de Louvain
en souriant.
La reine sourit à son tour et referma les yeux, sentant
un bienheureux assoupissement l’envahir. La dame d’honneur respecta son repos ;
elle-même était tout à ses pensées, hantée par un rêve terrible qui l’avait
éveillée au cœur de la nuit précédente.
Elle se trouvait au jardin de Gethsémani, au pied
du mont des Oliviers où Jésus pria la veille de sa mort. Comme elle était sur
le point de découvrir la divine figure du fils de Dieu, c’est celui d’Isabelle
qui lui apparut, un visage d’une beauté tragique, qui exprimait une indicible
douleur. Une couronne d’épines était incrustée sur son front où ruisselaient
des perles d’incarnat qui s’allaient rouler sur ses joues. La reine pleurait
des larmes de sang.
Ozanne ne pouvait se débarrasser du malaise que ce
cauchemar lui avait laissé, tandis qu’elle contemplait Isabelle qui dormait à
présent, si innocemment.
Complies sonnèrent, éveillant en sursaut la
princesse de Bavière, qui s’affola en songeant à son souper avec le roi. Elle
se jeta hors de son lit de repos et commanda sa robe de dedans à sa dame d’honneur.
Elle venait à peine de la passer lorsque Philippe
de Mézières se fit
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