Eclose entre les lys
innocent.
Aussi faut-il blâmer la conduite de ces hommes à l’esprit
trop crédule qui se laissent abuser par des rapports incertains.
D’après la Chronique du religieux de Saint-Denys
L’Hôtel de la reine s’embrasa du tourbillon
chatoyant des soies, des brocarts d’or, des diaspres [42] et des voiles de
samit, ou de ces draps d’or d’Italie appelés nachiz. À l’incessant va-et-vient
des tissutiers et des atourneresses se joignit celui des orfèvres et des peaussiers.
Les gemmes les plus précieuses ruisselaient de leur symphonie de couleurs. La
souplesse et la douceur des hermines et autres zibelines se laissaient caresser
à l’envi.
La devise « À jamais ! » fut gravée,
taillée, peinte, brodée sur tout ce qu’il se doit d’ostentatoire.
Alors que Charles VI faisait dresser son lit
de justice afin d’ouvrir solennellement le procès du Grand Empoisonneur de
Navarre, la reine Isabelle renouvelait entièrement son garnement. Comme sa
cassette n’y suffisait pas, elle réclama de l’argent ; le roi y consentit
volontiers et sans compter. Les belles dames de la Cour ne voulurent pas être
en reste et imitèrent aussitôt le vestiaire de la reine. Isabelle donnait le
ton.
La reine possédant des épaules ravissantes, la
houppelande dénuda la gorge en décolleté profond, tandis qu’elle s’allongea
démesurément vers le bas, se prolongeant en manches d’une largeur
extraordinaire et en traîne interminable. Outre ses hauts patins de bois
enluminés, la reine, qui se trouvait toujours de trop petite taille, bien qu’elle
eût grandi, toise en faisant foi, de plus d’un pouce, lança la mode des
coiffures d’une envergure prodigieuse. Entremêlées à son opulente chevelure, ses
parures de tête prirent des formes extravagantes : cornes, tricornes, dômes,
hennins vertigineux, obligèrent bientôt les dames qui l’imitèrent à se baisser
pour passer les portes.
Isabelle possédait un admirable front bombé qu’elle
laissait grandement dégagé de la masse de ses cheveux, souligné d’un rang de perles,
d’un ruban, ou irisé d’un voile court et diaphane. Chacune voulut en faire de
même jusqu’à se faire épiler la racine des cheveux, et à utiliser des postiches
pour compenser ce que la nature ne leur avait pas donné.
Les jeunes seigneurs se mirent également en frais,
et copièrent plus que jamais la mode de Venise de messire de Craon et du
jeune Orléans. Ils ne portèrent plus que les chausses à brayette impudiquement
rebondie, et la cotte hardie de couleurs vives, à coupe gracieuse, courte et
très ajustée. Leurs tailles s’étranglèrent, faisant ressortir leur torse à la
carrure élargie d’épaulettes fort avantageuses. Alors que les pointes de leurs
poulaines s’allongeaient de façon déraisonnable, ils abusèrent des clochettes
comme sur les harnais de leurs chevaux. Danses et cavalcades tintinnabulaient
et se rythmaient à la sonnaille des grelots.
Le printemps 1387 installait à la Cour un
luxe étourdissant pour le plus grand bonheur du roi de France qui se ruinait en
banquets, lices et festivités fastueuses.
La fièvre des fêtes gagna le petit peuple. Le Mai
fit danser les rues de Paris ; les feux de la Saint-Jean embrasèrent les
carrefours et les quais ; un mois de juillet caniculaire jeta les
Parisiens en rivière de Seine, venus en foule admirer les courtisans qui
régataient. L’on s’y baignait nu, et l’on vit le roi et ses seigneurs barboter
plaisamment au port au Blé de la place de Grève dans le plus simple appareil.
Les temps n’étaient qu’au plaisir. Isabelle s’y
adonnait avec une sorte de frénésie. La reine était loin aujourd’hui de la
petite princesse de Bavière qui « sentait par trop sa montagne »,
comme l’avait méchamment dit la duchesse de Brabant. À présent, elle
fleurait la violette qu’elle avait adoptée définitivement comme parfum. Cette
essence de fleur, qu’elle exigeait à la fois présente et discrète, entrait dans
toutes sortes de préparations composées à son attention. La violette, qui s’accordait
si bien avec les fulgurances de ses yeux, embaumait ses savons, ses fards et
onguents, et même son bain en décoction.
Ainsi, Isabelle naguère si rétive, si impatiente à
son atournement, s’y adonnait aujourd’hui avec un soin attentif et exigeant. Il
fallait des heures pour l’apprêter, et pour ce faire, elle n’avait pas moins de
douze dames d’atour chargées
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