Eclose entre les lys
où se mêlaient pastourelles et virelais
des ménestrels, bons vins et bonne chère.
Il s’y rendait des arrêts d’Amour, comme celui de
ce mari intolérant qui fut désapprouvé pour avoir forcé sa jeune femme à ôter
une robe à la nouvelle mode, la jugeant trop ouverte sur le devant. Ou cet
autre qui vint se plaindre d’un chevalier qui se disait amoureux de son épouse :
il fut débouté suivant la règle que rien n’empêche qu’une femme soit chérie de
deux hommes, ni qu’un homme soit aimé de deux femmes.
Ce genre de sentences et de divertissements ne
tarda pas à faire scandale. Et les mêmes qui avaient critiqué l’excès de
douleur de la reine à la mort de son fils la critiquèrent pour s’en être trop
vite consolée.
Mais Isabelle n’en avait cure. En brillant sur le
devant de la scène, elle apprenait à faire face. Aliénor d’Aquitaine avait été
adulée autant qu’elle avait compté d’ennemis, mais elle n’avait jamais baissé
la tête. La jeune princesse de Bavière avait relevé la sienne, admirablement
parée. Elle en imposait à tous. Elle découvrait la force de sa souveraineté.
Pourtant, dans le secret de son cœur, elle se
reconnaissait encore une grande fragilité : son premier rôle était d’assurer
l’avenir de la dynastie et son ventre restait vide. Craignant que Dieu, dans
Son courroux, ne l’ait rendue stérile, elle confia ses craintes à Jean la Grâce.
— Le roi vous néglige-t-il ? lui demanda
son confesseur.
— Certes non, répondit Isabelle en rougissant,
songeant aux fréquentes et brèves étreintes de Charles.
— Sûr qu’il aurait bien tort en vous voyant
si belle. Laissez donc Dieu de côté en cette affaire, et faites confiance en la
nature. Je vous prédis qu’avant la fin de cette année, vous serez grosse.
— Êtes-vous donc astrologue, frère Jean ?
ironisa Isabelle.
— À mes heures, madame. Voulez-vous parier ?
Elle éclata de rire.
— Un pari ? N’est-ce point contraire à
votre robe qui vous sied fort mal d’ailleurs.
Jean la Grâce portait une aube usée jusqu’à la
corde.
— Cela est vrai, répliqua-t-il, et j’ai bien
besoin de quelques aumusses, cucules ou dalmatiques de bonne facture, car à
suivre votre train, je n’y puis.
— C’est gagé. Et vous-même, que gagez-vous si
vous perdez ?
— Inutile, madame, je ne perdrai point.
Ce pari, pourtant absurde, rendit quelque peu
confiance à Isabelle qui poursuivit ses folles activités avec plus de sérénité.
*
Et l’été des petits riens continua à se passer en
joyeusetés sans importance… pouvait-on croire. Car chez la reine se tenaient
des réunions très secrètes, sous couvert de sa cour d’Amour. Mézières y trouva
en effet le prétexte à faire resurgir, en toute innocence, des personnages qui
n’y déparaient pas, tant ils étaient cultivés et sages : Jean le Mercier, Montaigu,
Pierre de Giac, Nicolas du Bosc, Bègue le Vilain… les anciens conseillers de
Charles V, si vilainement chassés par les princes des Fleurs de lys. Ils
devinrent tout naturellement des familiers de l’hôtel de la Pissotte, d’où ils
guettaient le moindre faux pas des oncles du roi.
Ainsi Berry, qui se tenait pourtant benoîtement
dans son palais ducal de Bourges où il y surveillait des travaux somptuaires, leur
donna bientôt l’occasion de se réjouir. Cette dite occasion se présenta sous la
forme d’un ermite.
Ce pauvre vieillard, venu à pied du Midi, demanda
à voir le roi de France. Il se disait porteur d’un message divin qu’il tenait
de saint Michel, de saint Gabriel et de saint Raphaël. Le jeune souverain, toujours
enclin au merveilleux, voulut l’entendre.
À genoux devant Charles VI, la reine et les
seigneurs, l’ermite montra sur son bras droit la marque d’une croix rouge, signe
de sa mission divine, puis révéla son message : « Si le souverain ne
vient pas au secours du Languedoc, épuisé d’impôts par les cruels collecteurs
de monseigneur de Berry qui en possède la lieutenance, Dieu se courroucera
contre lui et punira le roi de France en faisant mourir ses enfants. »
Isabelle fut sur le point de défaillir. Ce messager
de Dieu, chargé des inquiétudes dynastiques qui la tourmentaient déjà, venait
trop à point. La reine n’eut pas de mal à se laisser aller à une crise d’affliction
où elle accabla le Camus jusqu’à l’excès, jusqu’à le rendre responsable de
la mort du Dauphin
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