Eclose entre les lys
de sa personne et de sa garde-robe. Et ce n’est qu’après
avoir été longuement parée que la jeune souveraine apparaissait, présidant à
tous les événements festifs, au centre d’un aréopage munificent, avec le roi, Louis
d’Orléans et la douce Ozanne.
Celle-ci avait en effet suivi les ordres de la
reine. Dans les jours terribles qui avaient suivi la mort du petit Dauphin, elle
n’avait pas quitté le jeune monarque. Elle avait su trouver les mots de l’apaisement,
ceux qui exhortent à la patience, à l’espoir d’un nouvel héritier.
Charles VI, qui avait besoin d’une oreille
tendre et attentive, l’avait trouvée en la demoiselle de Louvain. Elle
avait été présente dans la peine, il la voulait aujourd’hui à ses côtés, de
toutes les réjouissances. S’il en avait fait sa favorite, il n’en avait pas
encore fait sa maîtresse. Le roi, à qui l’on reprochait naguère sa trop grande
libéralité avec les dames, était trop épris d’Isabelle pour y songer. Ozanne s’en
contentait, bien qu’elle le désirât de toute la violence de sa chair.
Et l’été se passa ainsi, si insoucieux qu’il fut
appelé « l’Été des petits riens ».
Le jour, quand la Cour ne chassait pas, elle
jouait au mail, à la quintaine ou à la longue paume ; la nuit, elle
banquetait, transformait les hôtels royaux en tripots où l’on s’adonnait aux
jeux de table, jonchet, trictrac, ou autres parties de dés, bien que prohibés
par l’Église.
Isabelle n’en négligeait pas pour autant son
édification auprès de son précepteur. Celui-ci lui donna à lire la vie de
hautes figures féminines de l’Histoire : Blanche de Castille, mère de
Saint Louis ; Berthe aux grands pieds, qui donna naissance à Charlemagne ;
la despote et légendaire Brunehaut, qui gouverna l’Austrasie, et qui finit
suppliciée, attachée par les cheveux à la queue d’un cheval ; ou encore
Clotilde, princesse burgonde, qui convertit Clovis au christianisme. Mais nulle
de ces reines ne sut retenir l’attention d’Isabelle, jusqu’à la fascination, autant
qu’Aliénor d’Aquitaine. Elle était belle, scandaleuse, et ne faisait pas
mystère de sa sensualité. Alors qu’elle était reine de France, elle trompa tant
et pis son royal époux, Louis VII, qu’il finit par la répudier. Elle s’en
consola aussitôt en épousant Henri Plantagenêt, le roi d’Angleterre.
Aliénor n’était pas qu’une femme bordeleuse. Elle
joua un rôle politique éminent, mais surtout, elle conçut dans son Aquitaine sa
cour d’Amour qui édifia les règles de courtoisie de la fin’amor. Elle
régna ainsi sur les troubadours et les plus grands érudits de son temps.
La princesse de Bavière découvrait à quelque
deux siècles de là, une reine, deux fois reine, libre de son corps et de ses
jugements. Une femme libre d’aimer. À l’instar d’Aliénor d’Aquitaine, elle
voulut sa propre cour d’Amour en son hôtel de la Pissotte. Ce projet
enthousiasma Louis d’Orléans. Celui-ci, depuis la folle équipée de Vincennes, avait
appris à dompter l’exigence de ses caprices. Sa frénésie amoureuse envers
Isabelle s’était larvée en une passion sourde et patiente, saisissant toutes
les occasions de se tenir au plus près d’elle. Il avait mis la diplomatie au
service de sa passion et de ses ambitions. N’ayant d’autre apanage que le duché
d’Orléans, qui ne lui assurait qu’un maigre revenu, il ne devait son faste qu’à
la rente que lui allouait le roi, aussi l’entourait-il aujourd’hui d’une grande
affection fraternelle. Il attendait que son heure vienne, et elle viendrait, lorsque
Charles VI serait enfin débarrassé de la tutelle des princes des Fleurs de
lys.
Pour calmer ses impatiences, il s’adonnait à la
frénésie des plaisirs. Aussi se jeta-t-il à corps perdu dans la folle aventure
de la cour d’Amour avec Isabelle. Ensemble, ils réunirent autour d’eux la gent
du Gai Savoir, comme le poète Eustache Deschamps, mais aussi des officiers
royaux, des avocats, des docteurs en théologie, des maîtres de requête, et
toutes personnes nécessaires à faire bons et loyaux procès amoureux. Isabelle
et Louis, beaux, spirituels, et qui rivalisaient de séduction, régnaient sur
cette cour raffinée.
Et la fleur de la noblesse vint s’interpeller joyeusement
devant ce tribunal, s’égayant dans des plaidoyers à coups de maximes courtoises
et de citations des Saintes Écritures
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