Eclose entre les lys
en branle, les
braves gens s’interpellaient, s’embrassaient. Bientôt, il y en eut qui se
mirent à frapper vigoureusement des cymbales. Sur leur rythme endiablé s’accordèrent
flûtiaux et chalumeaux ; d’autres agitèrent des clochettes, et dans un
joyeux charivari le bon peuple se mit à danser. Il y avait si longtemps que la
ville n’avait reçu si bonne nouvelle.
On était dans les premiers jours d’avril, un
printemps précoce était de la fête ; l’air avait le goût sucré des fleurs
du Mai.
À l’Hôtel solennel des Grands Ébattements, cet
heureux événement rendait Charles VI tout aussi euphorique que son peuple.
Impatient de partager sa joie avec Isabelle, il partit à sa recherche, entraînant
à sa suite ses courtisans survoltés et les courriers de Navarre de si bon
augure.
La princesse de Bavière se trouvait dans les
jardins, occupée à surveiller le retour des oiseaux dans leur cage d’été. N’étaient
sortis, pour l’heure, que les plus robustes : bergeronnettes printanières,
pipits des prés, merles bleus, et autres loriots ou rossignols des murailles. Les
gens des cours basses les amenaient dans des paniers d’osier, sous le regard
vigilant de la reine qui tenait à ce que les volatiles soient traités avec
délicatesse.
Elle était entourée d’une partie de sa mesnie, ainsi
que des habitués de l’hôtel de la Pissotte, comme Philippe de Mézières, le
conseiller Bureau de la Rivière, et même le cardinal de Laon, qui,
depuis son retour de Dijon, courtisait assidûment la jeune souveraine.
Le cardinal, mis au courant de la conjuration par
Louis d’Orléans, avait compris que l’étoile de Bourgogne pourrait fort bien
décliner, et que celle de la reine grandissait vite. Et puis, Charles VI
finirait bien par régner un jour. Il n’avait pas oublié les menaces de mort de
Bois-Bourdon au lendemain du traquenard de Vincennes, et tout en se félicitant
de l’absence de ce dernier, il n’en pensait pas moins qu’il lui fallait les
protecteurs, qui, demain, seraient les plus puissants. Aussi était-il devenu un
membre actif de Montjoie Isabelle.
Dans les jardins, le roi, du plus loin qu’il vît
sa jeune épouse, cria son enthousiasme : « Navarre est mort ! »
Et les deux groupes de courtisans se rejoignirent et se mêlèrent en se
congratulant joyeusement. Isabelle, qui tenait dans ses paumes une mésange
familière, restait à l’écart de cette turbulence auprès de son précepteur.
— Nous voilà rassurés, les princes pourront
désormais mourir sans craindre que ce soit des poisons du Mauvais, lui susurra
celui-ci avec ironie.
Charles VI se précipitait déjà sur Isabelle
et la prit dans ses bras avec fougue.
— Ma mie, nous voilà bien débarrassés de ce
méchant roi !
— Cessez, monseigneur, vous lui faites peur, protesta-t-elle.
— Mais à qui donc, madame ? demanda-t-il,
stupéfait, en desserrant son étreinte.
— Mais à la mésange que je tiens, sourit la
princesse de Bavière en déposant un léger baiser sur le minuscule oiseau
qui se débattait dans ses mains.
Elle le relâcha tout aussitôt dans une des
immenses cages où s’affolaient ses congénères, perturbés par leur déménagement
et le tumulte extérieur.
— Éloignons-nous, ordonna Isabelle, ils vont
se blesser aux treillis si nous ne les laissons en paix.
— Vous avez raison, répondit le roi en la
prenant par la main, promenons-nous, c’est une si belle journée.
Et ils entraînèrent derrière eux les courtisans
qui ne tarissaient pas de commentaires sur l’événement.
— Et comment est-il mort ? demanda à la
cantonade le cardinal de Laon.
— Grillé tout vif, lui répondit l’un des
courriers de Navarre, brûlé jusqu’à la boudine. Un courant d’air a fait tomber
sur le roi un chandelier allumé alors qu’il macérait dans l’eau-de-vie. Personne
n’était là pour lui porter secours, et personne ne l’entendit crier.
Un autre courrier prit la relève, narra avec
volubilité les détails hideux de cette crémation, et raconta comment le Navarre,
ayant trop chaud dans ses bandelettes, avait demandé à son favori d’ouvrir la
fenêtre pour avoir de l’air, et lui avait demandé d’aller lui chercher à boire
de l’eau fraîche. Et c’est durant cette brève absence – d’après ce favori –
que le drame s’était produit.
— Mais qui donc était ce favori ? lui
demanda-t-on.
— Le sire
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