Eclose entre les lys
et de la longue attente d’un nouvel enfant royal. Elle cria
justice pour le Languedoc, pour la sauvegarde de l’avenir de leur progéniture
et du royaume de France.
Déjà très ébranlé par les révélations de l’ermite,
Charles VI garda rancune à son oncle de Berry et fit partir sans délai des
émissaires dans le Sud, chargés d’évaluer la situation.
Quant au duc de Bourgogne, ce temps où le
faste et la futilité régnaient mit un comble à son exaspération, et lui fit
perdre patience et prudence. C’était deux jours avant la Saint-Denis, dans les
premiers jours d’octobre. La flamboyance de l’automne rivalisait avec celle de
la Cour. Le Hardi se fit recevoir par son neveu en son petit cabinet de travail
à l’hôtel de Sens. Il harcela une nouvelle fois Charles VI à propos des
menaces que le duché de Gueldre faisait peser sur le Brabant, et il eut la
maladresse de lui reprocher l’oubli de ses devoirs, le ramollissement de sa
chevalerie, et les folles dépenses de la reine. Charles VI s’emporta
violemment, d’autant que le moment était mal choisi. Il venait de lui être
rapporté une rumeur qui l’avait mis de méchante humeur : l’on disait Louis
d’Orléans amant d’Ozanne de Louvain.
Déjà très agité, il fut ulcéré des propos du duc
de Bourgogne et le congédia vertement.
— Seigneur mon oncle, nous allons vers la
mauvaise saison, il n’est plus temps de faire bonne guerre. Et par Dieu, vous m’importunez,
ne m’en parlez plus !
Cramoisi de fureur, le duc quitta le petit cabinet
et traversa à grands pas farouches l’antichambre où se tenaient quelques
seigneurs. Ces derniers, qui n’avaient rien perdu de la querelle tant elle
avait été forte, s’en furent aussitôt colporter l’événement. Quant à Charles, resté
tremblant de colère, il fit mander sa favorite sur-le-champ.
La demoiselle de Louvain s’empressa d’accourir
chez le roi. Comme elle amorçait une révérence, il lui assena froidement :
— Damoiselle, j’ai pour vous contentement. J’ai
décidé de vous doter et de vous marier confortablement à un seigneur picard.
Ozanne, pliée dans son salut, en tomba sur les
genoux.
— Non, gentil sire, non ! Ne me faites
pas cette violence, j’en mourrai.
— Vous aimez donc tant ? criailla
Charles VI, repris par son agitation.
— Plus que ma vie. Je vous aime, mon doux
Seigneur, et vous en demande humblement pardon. Je ne veux qu’être auprès de
vous, ne me chassez pas de votre présence, par pitié !
Ozanne balbutiait, en pleurs, baisant le bas de la
robe de Charles. Celui-ci en resta un instant déconcerté.
— Tu dis m’aimer ? Et tu vas au lit avec
mon frère ? reprit-il avec rage.
Ozanne releva la tête, les mots semblaient ne pas
parvenir jusqu’à sa conscience.
— Que dites-vous, sire mon roi ?
— Je dis que tu couches avec Louis d’Orléans
comme chacun le sait, et que cela est fort méchant d’avoir trompé ma confiance.
— Moi, et monsieur le prince de France ?
(Les joues encore mouillées de larmes, le visage d’Ozanne s’éclaira lentement.)
Seigneur mon roi, vous êtes jaloux ?
Charles VI en resta sans voix. Ce fut une
révélation : oui, il était jaloux. Il considéra la dame d’honneur qu’il
voyait, lui semblait-il, pour la première fois. Il lui prit les mains et la
releva.
— Que m’avez-vous dit, demoiselle à la jolie
figure, que vous m’aimiez ?
— Oui, doux sire, je vous aime.
— Mais… Louis ?
— Sur les Évangiles, je fais serment qu’il
vous a été menti.
Le jeune souverain sentit monter en lui une
émotion charnelle impérieuse. Il ne pouvait quitter la jeune femme du regard
tant il la trouvait soudain belle et désirable.
— Jamais je n’ai vu des yeux aussi limpides, murmura-t-il,
ils sont comme de l’eau pure, ils ressemblent à ces pierres d’aigue-marine.
Il la fixait toujours et avec une telle intensité
qu’elle sentit son cœur mis à nu.
— J’ai connu ce regard, autrefois, dans les
yeux noirs d’Isabelle. Je ne l’y ai jamais retrouvé, lui murmura-t-il encore.
— La reine vous aime, doux sire.
— Certes. Mais plus de cet amour, plus de
cette adoration que je lis dans les tiens.
Il prit un temps, et répéta, ne semblant y croire :
— Bonne amie, vous m’aimez donc ?
— De toute la force de mon âme, doux sire, et
celle de mon corps.
Alors Charles entraîna Ozanne vers le lit de repos
de son petit
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