Eclose entre les lys
et par
contrecoup, son fils.
Ils étaient seuls à présent, longeant une enfilade
de cages vides. Lions, panthères et autres fauves étaient encore dans les
salles chaudes du château de Vincennes. Seul, un ours solitaire, vautré, rongeait
placidement sur son ventre de vieilles pommes d’hiver toutes fripées. Il lui
fit penser à sa Bavière, et sa détresse redoubla. Tout la blessait, semblait-il.
Mézières la laissa pleurer tout son soûl, et comme
elle se calmait, il lui dit doucement :
— Il faut vous reprendre, madame.
— Je n’ai pas voulu être reine, se
révolta-t-elle d’une voix brisée.
— Vous l’êtes !
— Croyez-vous ? Alors que le roi refuse
de me faire sacrer ? rétorqua Isabelle avec acrimonie.
— Il ne faut pas contrarier le roi plus avant
à ce propos, il est trop marri du courroux de son oncle qu’il ne veut point
contrarier davantage. Et de même, gardons-nous aussi de pousser à bout Philippe
le Hardi, ce serait dangereux.
— Craignez-vous pour moi ? le
coupa-t-elle, tant ces propos confirmaient ses propres alarmes.
Mézières sentit la peur de la reine. Alors il
déchargea tout son ressentiment contre les princes des Lys :
— Je vous le répète, Bourgogne est dangereux,
si dangereux que l’on dirait que le Ciel entre dans ses vengeances. Il écarte
impitoyablement de son chemin tous ceux qui le gênent. Moi-même, je fus rejeté
lorsqu’il s’arrogea le pouvoir avec ses frères. Charles VI aimait les
conseillers de son père. Aussi, malgré ses douze ans, il m’accorda sa
protection comme il sauva la vie du sire de la Rivière que ses oncles
voulaient perdre, et le garda à son conseil. De même, il imposa Olivier de Clisson
à la connétablie contre l’avis de ses tuteurs qui le détestent. Voyez que le
roi sait aussi imposer lorsqu’il aime. Il vous aime, madame, et cet amour vous
protège.
— Il aime aussi son oncle de Bourgogne.
— C’est pourquoi il est déchiré. Il serait
maladroit de le forcer à prendre parti. Pour l’instant, il ne le peut.
— Il n’y a donc rien à faire ? lâcha-t-elle
avec lassitude.
— Si fait ! madame, le roi est las de la
guerre et de ses revers, c’est pourquoi il résiste à cette campagne contre de Gueldre.
Ne l’avez-vous pas entendu ? Il veut des fêtes, il veut avoir contentement
de plaisirs et du plaisir des autres.
Il la prit familièrement par les épaules et l’obligea
à lui faire face, lui insufflant sa force de conviction.
— Vous êtes belle. Vous êtes la plus belle
des dames de cette cour. Soyez-le encore davantage. Convoquez vos dames d’atour,
vos drapiers, vos peaussiers, vos orfèvres et brillez de tous vos feux. Soyez
dépensière et futile. Ne négligez aucune occasion de paraître. Soyez toujours d’humeur
joyeuse. Rendez-vous étincelante jusqu’à l’inaccessible. Puisque, encore une
fois, le roi veut des fêtes, contentez-le ! Demandez-en plus encore !
Et soyez-en la reine !
— La reine des fêtes ?
— Oui ! et feignez ne plus vous mêler de
politique. Nous vous avons jusqu’à présent bien trop exposée. Donnez à penser
au duc de Bourgogne que vous êtes légère. Il a si piètre opinion des
femmes qu’il s’y prendra. Endormons sa défiance à votre égard. Dissimulez-vous
dans la luminosité des artifices, nous, nous travaillerons dans l’ombre.
La reine se taisait, tout à cette nouvelle
perspective.
— Le roi aura bientôt vingt ans, il veut s’amuser,
ajouta Mézières avec plus de force encore. Le temps viendra où nous briserons
cet indécis. Bourgogne aura sa guerre ! Vous aurez votre sacre !
Alors, sous ses doigts noueux et impérieux, Mézières
sentit les épaules d’Isabelle se redresser.
27
L’été des petits riens
Messire Jean de Carrouges a porté devant le roi
l’indignité du sire Jacques le Gris qu’il accuse d’avoir outragé son
épouse en son absence.
L’accusé nie avoir commis un tel crime. L’épouse
maintient ses dires.
Il en fut appelé au Jugement de Dieu.
Un duel à outrance fut décidé où Jean de Carrouges
défit son adversaire, et vengea l’insulte.
Dieu avait jugé coupable Jacques le Gris dont
le corps fut pendu au gibet.
À quelque temps de là, un homme contre lequel l’on
venait de prononcer une sentence de mort, et qui n’avait plus rien à perdre que
son âme, confessa le viol de la dame Carrouges.
Ainsi, du Jugement de Dieu, ne restait plus que le
meurtre d’un
Weitere Kostenlose Bücher