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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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cabinet. Ozanne s’y laissa entraîner.
     
    Le bourdonnement des activités de l’hôtel de Sens
venait s’échouer derrière les lourdes tentures du retrait de Charles VI. Les
carillons de Saint-Paul sonnèrent vêpres. Le roi s’enivrait de la nudité
blanche et ronde à ravir de la dame d’honneur. Il s’en émerveilla longuement, des
yeux et des mains. Il ne voulait la prendre, désireux que cela dure, n’en
finissant pas de faire flamber leur plaisir. Ozanne finit par crier grâce. Il
la pénétra enfin. Elle cria, et jouit immédiatement tant son désir était à vif.
L’étonnement de Charles en fut si intense qu’il bloqua sa propre jouissance. Il
eut l’indicible bonheur de découvrir la volupté de travailler longuement une
femme. C’était une révélation. Jamais il n’avait pu retenir sa semence dès qu’il
était dans la moite chaleur d’un ventre. Il découvrait cette joute des corps
qui participent au même mouvement, se boutant l’un vers l’autre, parfois jusqu’à
la fureur, et qui vous laisse pantelant, rejeté sur la rive enchantée de la
félicité, dans le bien-être de l’extase.
    Charles VI et Ozanne se séparèrent à complies.
Le roi, euphorique, se fit préparer pour aller souper chez la reine, bien
décidé à honorer Isabelle comme il l’avait fait avec sa dame d’honneur. Le roi
était doublement amoureux, doublement puissant.
    Mais avant que de s’y rendre, désireux qu’en ce
jour tout le monde fût heureux, il fit parvenir au duc de Bourgogne un
billet par lequel il lui offrait tous les biens français du roi de Navarre dont
le procès venait de se clore. Il voulait se réconcilier avec son oncle pour
parfaire son bonheur, oublieux de les avoir promis en douaire à la reine.
     
    La nouvelle de cette donation mit Isabelle en
furie. Mézières tenta de l’apaiser :
    — Ne vous ai-je pas déjà dit que la colère
est mauvaise conseillère ? Point de récriminations de votre part, laissez
le privilège d’irriter le roi au duc de Bourgogne.
    Elle en convint. Pourtant, elle ne pouvait passer
outre. Il lui fallait obtenir réparation de cet outrage.
    — Le non-respect de parole donnée d’un époux
envers son épouse n’est-il pas un délit courtois ? lui fit-elle remarquer.
Ne relève-t-il pas du tribunal de ma cour d’Amour ?
    — Certes, cela se pourrait, acquiesça-t-il
avec un sourire.
    — Très bien, je vais l’assigner devant mon
tribunal qui tranchera.
    Mézières trouva le projet bon et plaisant. Il
avait l’avantage de transformer cet incident malheureux en momerie dont il
comptait bien profiter avec l’aide des anciens conseillers de Charles V.
    L’été des petits riens joua donc les prolongations
d’automne, et le roi, qui reconnaissait sa faute, se prêta volontiers à ce
travestissement judiciaire.
     
    Charles VI comparut donc avec obligeance
devant le tribunal d’Amour à titre de mari. La demanderesse, elle, siégeait en
lit de justice, en sa rutilante salle aux Bourdons. Novembre avait apporté ses
frimas, il y eut foule à l’hôtel de la Pissotte pour se réchauffer et s’esbaudir
de cette instance hors du commun.
    Jean la Grâce ouvrit la séance par une courte
prière où il demanda à Dieu d’éclairer de Sa justice divine le docte tribunal. Il
arborait ce jour-là une splendide dalmatique lilas, garnie sur le devant d’un
carré de broderie d’or, qui le changeait fort de ses vieux frocs. Et l’on
commença à discutailler de part et d’autre. L’accusation fit paraître moult
témoins qui confirmèrent avoir ouï la promesse qui avait été faite à la
princesse de Bavière. La défense excusa le roi en invoquant le duc
de Bourgogne, qui tannait et persécutait tant son neveu qu’il lui en
faisait perdre mémoire. Et le procès tourna à celui de Philippe le Hardi
et de son emprise harcelante sur le roi.
    L’accusation rétorqua en argumentant sur la règle
de la chevalerie qui fait de la parole donnée un devoir sacré. Il n’était point
d’excuses à y manquer, et y manquer était se déshonorer. Les défenseurs de
Charles VI plaidèrent alors les choses autrement. Ils parlèrent de l’aspect
vénéneux que représentaient les biens du Grand Empoisonneur de Navarre, et du
risque des maléfices qui pourraient en découler. En un mot, les dépouilles de
Charles le Mauvais risquaient de porter malheur ; il était fort
estimable et précautionneux de la part du roi d’en avoir épargné la

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