Eclose entre les lys
violence. Pierre Aycelin regarda la timbale d’argent
rebondir et rouler à grand bruit de métal jusqu’au mur en songeant tout à la
fois qu’il avait bien fait de finir son vin de Poissy, et que les projets de Bourgogne
semblaient en bonne voie.
— Et qu’est-ce qui vous contrarie,
monseigneur ?
— C’est qu’elle m’est à moi destinée, Dieu me
l’a envoyée, je l’ai su dès que je l’ai vue. Je l’aime !
Louis avait lancé cette dernière affirmation comme
une évidence établie, connue, sue, et devant être respectée, même par son frère
le roi. L’homme d’Église en resta un instant interloqué.
Louis de France avait un visage menu sous une
tignasse foisonnante couleur châtaigne. Il était futé, d’esprit subtil et
curieux de tout. Il aimait l’étude et la beauté, et contrairement à son aîné,
il n’était guère porté sur les exercices du corps. Il ressemblait davantage à
son père, le défunt Charles V qui aimait à passer des heures en sa
librairie du Louvre. Mais Charles le Sage était austère. Son plus jeune fils,
lui, était impatient de mordre dans la vie en jouisseur, impatient d’avoir un
rôle de premier plan sur l’échiquier du royaume.
Le cardinal de Laon savait que Louis serait
un séducteur aussi séduit que séduisant. Il savait que, bientôt, il faudrait
compter avec lui car il possédait une des rares choses qui ne s’enseignaient
pas : l’ambition. Pour l’heure, Louis enrageait de son jeune âge,
enrageait de sa condition de cadet, enrageait d’amour. Et cet enragé, le
cardinal l’aimait : non comme on aime un fils, mais avec toute la force de
ses sens. Il n’avait pas vu grandir Louis comme il n’avait pas vu grandir ce
désir coupable. Il avait suffi d’une petite princesse étrangère, émouvante dans
sa beauté, pour que cet enfant, qui lui avait toujours appartenu, lui échappe,
alors qu’il ne l’avait jamais possédé. Une sourde douleur monta en lui – il
savait qu’elle allait devenir intolérable – alors que Louis se
laissait aller à une véritable crise de rage.
— Je le hais, je le hais, je le hais !
Victime d’un coup de foudre qui lui faisait perdre
tout sens commun, Louis se mit à hurler, sangloter, trépigner, ainsi qu’il le
faisait petit lorsqu’il n’obtenait pas ce qu’il désirait. Enfin il se jeta sur
le sol, se roulant sur la fourrure de loup où reposaient les pieds du cardinal.
Il lui enserra les jambes de ses bras, mendiant désespérément une consolation.
Une vague de passion submergea l’homme d’Église. Rien, ni Dieu, ni Diable, ni
les hommes ne l’empêcheraient de saisir cet enfant, de l’étreindre, d’étouffer
ses cris de révolte sous ses lèvres. Pierre Aycelin se laissa glisser près de
lui sur le sol. Il l’embrassa à pleine langue, buvant ses larmes, forçant sa
bouche. Louis, hoquetant, s’accrochait à l’homme d’Église, lui rendait son
étreinte, cherchant furieusement un répit à son chagrin ; peu à peu, un
trouble bienfaisant l’envahit.
Maintes dames de cour l’avaient autorisé à prendre
avec elles des privautés. L’une d’entre elles l’encourageait régulièrement à
planter son affûtiau, ainsi qu’il se disait plaisamment : un jeune prince
devait être enseigné en cette matière. Ces jeux d’alcôve, qui faisaient partie de
son éducation, ne l’avaient jamais ému, plutôt fait rire. Mais il aimait à
présent, et désirait avec violence. Il n’était plus que désir charnel. Sous les
caresses du prélat, son esprit se mit à dériver dans un rêve où le visage
d’Isabelle flottait, souriant à lui seul. C’étaient ses mains sur son corps,
ses mains qui écartaient son pourpoint d’écarlate, qui cherchaient sa peau. Ses
mains impatientes et habiles qui faisaient sauter les aiguillettes qui
maintenaient ses chausses à son surcot. Son haut-de-chausse glissa de la taille
jusqu’aux genoux, le laissant merveilleusement nu, offert, tendu. Puis une
bouche chaude lui arracha un cri.
Il se mit à râler dans un rythme lent et doux.
Enfin, l’éblouissement le cabra sur le sol comme un arc.
*
De retour à l’Hôtel de Bourgogne, la princesse de Bavière
s’était dépenaillée promptement de ses riches et encombrants atours, au grand dam
des chambrières et de Miette la Clabaude, plus clabaudeuse que jamais.
Bousculant et chassant ses gens, elle avait bâclé ses oraisons, pour enfin
s’enfouir dans le grand lit qu’elle
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