Eclose entre les lys
sa
ravissante silhouette de petite poupée brune. Elle portait une résille d’or qui
enserrait son opulente chevelure noire tressée de perles ; un voile
arachnéen en samit retombait en léger miroitement sur ses épaules nues que
soulignait le menu vair bordant son corselet de satin bleu. De larges manches
en barbe d’écrevisse balayaient le sol de leurs longues pointes déchiquetées.
Son teint était blanc, rouges et gonflées ses lèvres peintes, bombé son large
front.
Elle était belle à couper le souffle. Belle, comme
l’enfance qui enfante la femme.
Marguerite de Flandre, qui se tenait au côté
de son époux, le duc de Bourgogne, lui chuchota :
— Ne vous avais-je pas dit qu’à Bruxelles
nous avions rendu irrésistible cette petite montagnarde ?
— Assurément. Encore faudrait-il qu’elle le
soit pour mon neveu, grogna Philippe le Hardi.
— Elle l’est, lui souffla Marguerite avec un
sourire confiant. Il ne peut la quitter des yeux.
Parvenu au pied du trône, Frédéric s’immobilisa et
retira son poing, laissant Isabelle atrocement seule. Elle prit conscience de
l’étrange silence qui s’était abattu, et qui pesait soudain comme une chape.
Elle leva enfin lentement les yeux. Elle se tenait devant trois marches
recouvertes d’un tapis vert fleurdelisé d’or qui montaient à un piédestal où
elle rencontra, foudroyée, le regard d’azur du beau cavalier blond.
Il était vêtu d’un ample pelisson ponceau brodé de
pierreries à haut collet, doublé de fourrure d’écureuil. Les manches étaient
démesurément évasées, barbelées d’échancrures rondes et profondes, sa taille
étroite était prise dans un pourpoint, soulignée d’une simple ceinture dorée.
Le beau cavalier blond… portait couronne.
Le roi de France.
Il la fixait avec cette étrange insistance, ce
regard admiratif qu’elle n’avait pu oublier, et qui l’avait poursuivie dans la
folie de ses rêves. Elle ne pouvait plus détacher les yeux des siens. Son cœur
lui faisait mal tant il battait. C’était le miracle de l’amour courtois. Alors
que le roi se levait brusquement et descendait les marches, Isabelle sembla
reprendre conscience de sa mission, sur laquelle elle avait été dûment
chapitrée, et tomba à genoux.
— Monseigneur, je suis l’humble demoiselle
Isabelle de Bavière Visconti, messagère du salut de mon père, le duc de Bavière,
Étienne Wittelsbach d’Ingolstadt, au très puissant et très redouté roi de
France, récita-t-elle d’une seule traite, en pleine confusion.
Charles se pencha et la releva. Isabelle frissonna
sous la pression de ses mains chaudes et musclées sur ses épaules nues.
— Ne savez-vous pas devant qui vous vous
tenez ? lui glissa-t-il malicieusement à l’oreille, et elle devint
écarlate.
Puis il haussa la voix afin d’être entendu de
tous :
— Nous souhaitons la bienvenue à demoiselle
Isabelle de Bavière Visconti en notre royaume de France, et rendons pareil
salut au très puissant et très redouté seigneur son père, le duc de Bavière
Étienne Wittelsbach d’Ingolstadt.
C’était fini, les salutations étaient faites.
Frédéric reprit la main de sa nièce, ils se retirèrent de ce même pas lent de
cérémonie. Dans la salle bondée, personne ne songeait à parler, en suspens,
épiant le roi d’un seul regard. Celui-ci restait perdu dans la contemplation de
la grand-porte par où la ravissante princesse de Bavière venait de
disparaître avec sa suite. Il affichait un air ravi, quelque peu hagard.
Philippe le Hardi s’approcha de lui.
— Eh bien, seigneur mon neveu, qu’en
est-il ? Nous restera-t-elle ?
Charles sortit de son songe ébloui.
— Par Dieu, oui, je la veux ! et je n’en
veux pas d’autre, lança-t-il joyeusement à l’assistance.
La rumeur se gonfla et devint assourdissante.
L’événement était considérable. Le roi épouse !
La duchesse de Brabant se laissa choir dans
une cathèdre. Elle ne savait si elle devait se réjouir : des élancements
douloureux à la jambe ne cessaient de lui rappeler la malédiction de Thadée.
Ozanne ne lui avait toujours pas rapporté qu’Isabelle avait le sang.
Louis de Bois-Bourdon, sénéchal du Berry et
seigneur de Graville, grand ordonnateur des menus plaisirs de monseigneur
le roi, lui tendit un gobelet d’argent empli de vin aux épices.
— Eh bien, madame, quelle victoire ! Je
dois vous féliciter.
Leurs regards se
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