Eclose entre les lys
croisèrent, celui du sénéchal du
Berry était sombre et méprisant ; dans celui de la douairière, il n’y
avait nulle trace de triomphe, juste de l’angoisse. Bois-Bourdon en fut
surpris.
Favori de Charles VI, le sire de Graville
était dans les secrets d’État, connaissant jusqu’à l’âme du roi. La veille,
lors de la folle chevauchée du jeune souverain qui s’était porté incognito à la
rencontre d’Isabelle de Bavière, Bois-Bourdon était ce sombre chevalier
qui était resté en arrière, la fixant étrangement. La beauté, l’innocence mâtinée
d’insolence de la princesse, la pureté de son visage l’avaient bouleversé.
Depuis, ce visage le hantait. De l’avoir revue ce soir l’avait ému plus qu’il
ne voulait se l’avouer. Depuis une terrible nuit d’hiver où on lui avait volé
son enfance, il se croyait pourtant incapable d’émotion. À vingt ans, le
sénéchal ne connaissait plus que les sentiments de la haine et de la vengeance.
Lui, qui s’attendait à découvrir quelque princesse morgueuse, imbue de ses
titres et de ses prérogatives, avait été troublé par l’extrême jeunesse
d’Isabelle, réveillant en lui l’écho de sa naïveté et de sa vulnérabilité
d’enfant ; et il savait ce que les machinations et la cruauté des grands
de ce monde pouvaient en faire.
Bois-Bourdon se détourna de Jeanne de Brabant.
Même la secrète détresse qu’il soupçonnait en elle l’écœurait, car elle était
de ceux qui n’ont pitié que d’eux-mêmes. Il se heurta à un jeune garçon très
agité, en chaperon et pourpoint d’écarlate aux fleurs de lys.
— Est-ce vrai, Bourdon ? Crois-tu que
mon frère va épouser cette demoiselle de Bavière ?
— C’est à n’en point douter, monseigneur.
Le visage de l’adolescent, Louis de France, duc
d’Orléans, se convulsionna de dépit.
— Pourquoi justement elle ? Ne me laissera-t-il
donc rien ? Par Dieu, je crois que je pourrais le tuer.
— Que dites-vous, monseigneur ?
— Je le tuerai, je le tuerai ! s’écria
encore le frère cadet du roi, avant de s’enfuir.
Le sire de Graville le regarda se frayer un
chemin dans la presse à grands coups de coude rageurs, provoquant l’étonnement
sur son passage. Quelle mouche piquait le premier prince de France ?
*
Louis d’Orléans quitta la salle des banquets et
s’engouffra dans les vastes corridors du palais épiscopal où il surprit trois
archers de garde, assis sur les dalles, en train de jouer aux dés. Il passa son
dépit sur eux, bourrant le premier à sa portée de coups de pied en explosant de
fureur.
— Bandes d’hérétiques, vous serez damnés,
l’Église interdit le jeu ! Le Diable est dans ces murs.
Laissant les trois hommes de garde hébétés, et
l’un d’eux les reins endoloris, Louis poursuivit sa course pour se précipiter
dans le cabinet du cardinal de Laon.
Pierre Aycelin de Montaigu, cardinal de Laon,
homme d’Église et de cour, remplissait les triples fonctions de précepteur,
confesseur et confident de monseigneur Louis. Il assistait en outre au conseil
de régence du gouvernement des princes des Fleurs de lys. Par ce fait, il était
au courant des projets matrimoniaux du duc de Bourgogne. Comme la bonne
fortune ne tient qu’à celle des grands, et comme Philippe le Hardi était
de fait le véritable chef du royaume, le cardinal se contentait, pour
l’instant, de soutenir sa politique.
C’était un homme raffiné, d’allure comme de goût.
Il était grand et mince dans sa simple dalmatique blanche, et portait beau sa
quarantaine. Ses cheveux poivre et sel partaient en couronne de l’arrière de
son crâne pour flotter librement sur ses épaules. Son front dégarni lui donnait
plus que de l’élégance, le charme de la race. Esthète, extrêmement cultivé, le
cardinal de Laon n’avait jamais cessé d’entourer Louis de France de soins
jaloux et possessifs. Il l’avait éduqué à l’ombre du pouvoir – pour
le pouvoir.
La tenture de la porte se souleva violemment. Le
cardinal reçut l’habituel coup au cœur que lui causait toujours l’apparition de
son élève. Le jeune prince était terriblement agité.
— Mon frère n’est qu’un débauché. Tout le
monde le sait, tout le monde l’y met, tout le monde se tait ! Et voilà
qu’il s’en prend à une pucelle qui nous vient tout juste de Bavière.
Il se saisit du hanap au chevet du cardinal et
l’envoya sur le sol avec
Weitere Kostenlose Bücher