Eclose entre les lys
surnom.
*
Marguerite de Flandre avait fort à faire en ce
dimanche de la Saint-Bonaventure. Son hôtel était à l’image d’une ruche en
folie, comme des abeilles dérangées par un ours avec sa grosse patte gourmande
de miel. Il lui fallait penser à tout, jusqu’à la robe de mariée dont la
princesse de Bavière était dépourvue. Elle avait du mal à tenir ses gens, et
ne cessait de rager contre ces noces intempestives. Et quand elle apprit qu’Isabelle
refusait catégoriquement d’épouser le roi, elle sut qu’elle n’était pas encore
au bout de ses peines. Elle se rendit en hâte dans les appartements de la
princesse de Bavière tout en songeant à ses propres accordailles.
Elle avait été l’héritière la plus convoitée de
son temps. Elle apportait dans sa corbeille de mariage, outre les riches
Flandres, le Brabant dont la duchesse du même nom était sa tante, et puis l’Artois,
la Franche-Comté, et d’autres moindres mais nombreuses seigneuries. Aussi, la
compétition avait été acharnée. L’Angleterre et la France furent les plus
opiniâtres. Marguerite méprisait son débauché de père, Louis de Maele, autant
qu’elle avait aimé sa grand-mère, Marguerite de France, dont elle portait le
prénom. Elle avait eu avec celle-ci une grande complicité, et lui avait confié
que ses préférences allaient au jeune duc de Bourgogne. Sa grand-mère en
avait été satisfaite : elle-même venant de France, il lui plaisait que sa
petite-fille y retournât. Elle avait alors soutenu la demande de Philippe le Hardi
avec une grande fermeté. Mais le comte de Flandre avait atermoyé, ne
voulant fâcher les Anglais ; et sept années durant, ce mariage s’était
négocié sans jamais se conclure. Excédée, Marguerite de France était allée
trouver son fils et lui avait découvert sa poitrine : « Puisque vous
ne voulez point obéir à votre mère, pour vous faire honte, je vais trancher ce
sein qui vous a nourri, et le donnerai à manger aux chiens. »
D’un naturel impressionnable, son père avait enfin
donné son consentement. C’est ainsi qu’elle avait épousé suivant son cœur. Mais
qu’en était-il de celui de la princesse de Bavière ?
La duchesse de Bourgogne entra dans la
chambre où elle trouva Isabelle renfermée sur elle-même. Elle la salua avec
affabilité, celle-ci ne lui répondit pas, ne lui accorda aucun regard. Marguerite
pensa avec inquiétude qu’on ne pouvait pas traîner de force cette enfant devant
l’autel, et maudit encore ce mariage trop précipité : Charles VI
avait souvent des toquades qui mettaient tout son monde dans l’embarras. Elle
voulut rester seule avec Isabelle. Aussitôt la porte refermée, Isabelle sortit
de son mutisme dans un flot de paroles rageuses d’où ressortait que le roi
faisait injure à la noble maison des Wittelsbach en l’épousant de façon si
cavalière. Il lui devait long courtisement, ainsi qu’un chevalier le doit à sa
dame. Et puis elle ne voulait pas rester seule, abandonnée de ses gens, étrangère
en ce royaume qu’elle détestait. Enfin, à bout de révolte, la princesse éclata
en gros sanglots libérateurs, réclamant son père à grands cris, comme une
enfant perdue. La duchesse la reçut contre sa poitrine avec toute la tendresse
d’une maman. Tout en la berçant, elle évoqua longuement l’âme chevaleresque de
Charles VI, sa beauté, sa grande bonté et sa douceur, l’amour infini qu’il
avait déjà pour elle. Puis elle lui posa directement la question :
— Ne l’aimes-tu donc pas ?
— Si fait, madame, il est fort aimable. Mais
ce mariage me fait trop peur, répondit-elle d’une petite voix épuisée.
Isabelle s’était attachée à Marguerite de Flandre,
et sa grande noblesse l’impressionnait. À Bruxelles, quand la duchesse de Bourgogne
l’atournait, elle jouait avec elle comme à la poupée et ses exigences finissaient
toujours par un grand éclat de rire. « Vous êtes la plus jolie petite
princesse qu’il m’ait été donné de voir ! » lui disait-elle.
La tendresse toute maternelle de Marguerite lui
tira son premier sourire.
— Mon enfant, lui murmura cette dernière en
essuyant d’un geste doux une larme qui roulait sur sa joue, Charles VI te
veut pour épouse, et nulle autre que toi. Il n’est pas plus grand honneur pour
une princesse. Tout le monde se prépare à ces noces si solennelles. (Elle se
fit plus ferme.) Refuser le roi serait une injure
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