Eclose entre les lys
vieux chevalier palpait l’épaule démise de Jean
de Nevers qui jura de douleur. Fort contrarié par l’incident, le souverain
tentait d’apaiser son cousin, lui assurant que son rebouteux lui remettrait
promptement ce bras à l’endroit. Les fureurs de l’aîné de Bourgogne ne se
laissèrent pas distraire par les amabilités de Charles VI ; le bleu
de son regard lançait des éclairs d’acier, son menton prognathe se fit encore
plus menaçant.
— La traîtrise serait-elle à présent l’apanage
de mes cousins de France ? gronda-t-il entre ses dents serrées par la
souffrance.
— Garde tes paroles, beau cousin ! Ou tu
me fâcheras. Ce n’est que maladresse d’un chevalier encore sans mérite mais non
sans cœur ; Louis est un enfant, répliqua Charles, oubliant que Jean était
du même âge que son frère.
— Un enfant qui me rendra raison, alors on
verra pour le cœur.
— Passe outre, mon cousin, ou c’est à ma
personne royale que tu rendras raison.
Le comte de Nevers ravala son humiliation
mais il était à gager qu’il ne l’oublierait pas. Loin de posséder la diplomatie
de son père, Jean ne pouvait souffrir le plus léger abaissement. Le priver d’en
obtenir réparation était une erreur.
Nevers tourna les talons et s’en fut en se tenant l’épaule,
écartant de son bras valide toute forme de sollicitude, avec cet air de
taurillon exaspéré par les mouches. Louis de France venait de se faire un
ennemi mortel en la personne de son cousin germain, se dit Bois-Bourdon, et il
est des haines d’adolescence qui ne s’effacent jamais, lui le savait plus que
personne.
*
Depuis l’aube, la vaste demeure de Bourgogne était
en effervescence et résonnait des préparatifs du mariage royal.
Isabelle se réveilla en sursaut tandis que Miette
la Clabaude tirait les courtines avec énergie.
— Allez, debout, paresseuses, il y a fort à
faire et la journée sera rude.
Elle se mit sur son séant et regarda sa nounou d’un
air ahuri.
— Qu’est-ce qui sera rude ?
À ses côtés, dans un envol de draps où elle était
enfouie, Catherine émergea toute chiffonnée ; la Clabaude ouvrait grand
les croisées sur un soleil déjà haut.
— Il faudra me dire, Isabelette, lança-t-elle,
comment il va falloir maintenant que je te nomme. Je n’ai pas été dressée, moi,
à servir une reine.
— De quoi parles-tu donc ? demanda
celle-ci, complètement perdue.
— Je parle de tes épousailles avec le roi de
France dont tout le monde cause, répondit la Clabaude à sa maîtresse. Sans
compter que je n’ai pas que ça à faire, moi, il va bien falloir que je retourne
auprès de mon Gustaf.
Gustaf était un métayer du château de Ludwigsburg avec
lequel Miette, malgré sa quarantaine, s’était fiancée devant Dieu avant son
départ pour Amiens.
Comme la princesse de Bavière semblait
assommée par la nouvelle, Catherine demanda, incrédule :
— Le roi épouse Isabelle ?
— Et pas plus tard que demain.
— Ça veut dire qu’Isabelle ne reviendra pas
en Bavière avec nous ?
— Et qu’y faire ? grommela Miette. Puisqu’elle
convole, il nous faudra bien retourner sans elle. Une épouse doit demeurer dans
la maison de son mari, une reine en son royaume.
Catherine fondit en larmes : elles allaient
être séparées pour toujours. Il y eut un silence consterné, que rompit la voix
blanche mais déterminée de la princesse de Bavière :
— Ne pleure pas, je ne serai jamais reine de
France.
— Avec ça qu’on te demande ton avis, mon poussin,
lui rétorqua sa nounou en haussant les épaules.
— Jamais ! hurla Isabelle de toutes ses
forces.
Cette soudaine union la terrorisait. Elle n’était
pas prête.
Miette la considéra avec désolation. Son Isabelle
se tenait assise dans le lit, raide et tendue, le menton porté en avant dans un
défi opiniâtre. Elle la connaissait plus que quiconque. Son poussin était la
joie de vivre, une enfant turbulente et enjouée, de bonne compagnie. Mais elle
pouvait faire preuve d’une obstination dont rien ne pouvait la faire démordre. Son
haut front bombé attestait de la force de ses entêtements.
La Clabaude se rendit compte trop tard que, pour
annoncer une telle nouvelle, il aurait fallu une noble personne de haute
autorité. Alors, sans plus un mot, Miette s’en alla quérir la duchesse de Bourgogne,
se reprochant en bougonnant d’avoir la langue trop bien pendue, et d’avoir bien
mérité son
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