Eclose entre les lys
contentement.
— Ainsi, nous ne nous quitterons plus jamais,
lui lança-t-elle en lui donnant la main.
Ozanne se sentit au bord des larmes tant la
juvénile confiance de la jeune princesse la torturait. Loin d’imaginer l’état d’esprit
de sa dame d’honneur, Isabelle suivait des yeux Charles VI qui déambulait
avec affabilité, saluant avec grâce, ayant un mot plaisant pour chacun.
— Vois comme il est aimable, lui
confia-t-elle en lui tenant toujours la main. Il devance tous mes désirs comme
un digne servant d’amour.
Ses craintes s’étaient dissipées. Le roi était
bien son beau cavalier blond, à l’image de l’iconographie chevaleresque de l’imaginaire
courtois.
C’est alors qu’elle croisa le regard profond d’un
chevalier brun. Il la scrutait avec une telle force que ses pupilles semblaient
converger sur sa personne. Elle avait déjà croisé ces yeux sombres et
dérangeants sur le chemin d’Amiens, n’était-ce point lui que le roi avait
appelé Bourdon ? Dans ces yeux noirs, elle ne voyait que nuages lourds, ceux
de Charles n’étaient qu’azur.
Comme le roi revenait vers elle, elle se fixa dans
cet azur-là et sourit à son fiancé avec confiance.
5
Bachelleries royales
Lorsque tu prends dans tes bras les membres d’une femme, contemple
les vers, la sanie, l’insupportable puanteur qu’elle sera dans peu de temps, afin
que la représentation de cette pourriture à venir te fasse prudemment mépriser
les déguisements d’une beauté de théâtre.
Pierre Damien, docteur de l’Église
Comme si les lourds nuages du regard de
Bois-Bourdon s’étaient accumulés sur la campagne picarde, ils crevèrent
brusquement en fin de soirée. Il se mit à tomber des trombes d’eau, alors que
la nuit tombait. On sonnait le couvre-feu.
Ozanne regardait la pluie qui crépitait avec
violence sur le carreau de la soupente qui lui servait de chambre, où elle s’était
réfugiée après la cérémonie des fiançailles. Elle songeait avec angoisse aux
menaces de la duchesse de Brabant, alors qu’elle croyait échapper enfin à
ses griffes.
Première dame d’honneur de la reine ! Un instant,
un ciel superbe s’était ouvert sur sa liberté, mais l’horrible douairière, tout
aussitôt, l’avait refermé comme un piège. Si elle désobéissait, celle-ci la
trahirait sans nul doute auprès d’Isabelle qui la rejetterait avec raison. Sans
plus aucun soutien, elle se retrouverait dans un dénuement total.
Elle maudissait son sort. M me de Brabant
avait fait d’elle sa créature. Elle en usait avec elle comme une marâtre depuis
le jour où elle l’avait tirée du fumier des cours basses du château de Louvain,
dont elle portait aujourd’hui le nom fallacieux. Elle y avait grandi avec la
marmaille du forgeron, soumise aux rudes tâches de la plèbe. Pourtant, personne
n’ignorait qu’elle était la fille naturelle de Wenceslas de Luxembourg, l’époux
de la duchesse, et d’une noble dame brabançonne qui était morte en couches pour
son malheur. Son père s’était détourné de cette enfançonne qui avait tué son
amante, la laissant au bon vouloir de son affreuse épouse qui s’était
débarrassée d’elle chez le forgeron. Et son père était mort à son tour, sans
jamais l’avoir reconnue.
Un jour, la duchesse de Brabant l’avait fait
mander. Elle se revoyait, plantée au beau milieu d’une grande salle. La
duchesse tournait lentement autour d’elle en l’observant. Elle se tenait
immobile et tremblante, la tête basse ; elle n’était qu’une fillette de
dix ans terrorisée.
— Tu es bien comme ta putain de mère, Ozanne
la Bâtarde ! Tu as la beauté du Diable, lui avait-elle jeté après l’avoir
dévisagée.
Elle dit encore qu’elle était sale et qu’elle puait
l’écurie, et la livra à ses femmes de chambre afin qu’elles l’étrillent à l’en
faire crier.
Comme elle ne connaissait ni A ni B, la duchesse de Brabant
lui fit donner de l’éducation, tout ce que doit savoir une noble personne du
sexe pour faire bonne figure dans le monde. Lorsqu’elle fut présentable, elle l’attacha
à ses pas sous le nom plus honorable de Louvain – mais elle se
plaisait bien plus à l’appeler la Bâtarde – et elle l’utilisa à ses
fins jusqu’à la putasser.
Elle savait que suivant l’usage et la morale, la
princesse de Bavière devait être soustraite à son époux au soir de ses
noces, mais Ozanne ne comprenait pas les
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