Eclose entre les lys
considérable. Personne ne
saurait te le pardonner. Même ton père Étienne de Bavière en subirait l’affront.
Tu en resterais à jamais déshonorée.
— Déshonorée, madame, répéta Isabelle en
fronçant les sourcils.
— … Alors que le roi ne cherche qu’à t’honorer,
termina la duchesse.
La princesse de Bavière resta un instant
songeuse. Elle prenait conscience qu’elle n’avait pas le choix. Ses yeux s’emplirent
à nouveau de larmes.
— Je ne puis pourtant pas rester seule en
cette terre étrangère.
Marguerite acheva de la rassurer :
— J’obtiendrai de Charles que tous tes gens
restent auprès de toi, lui promit-elle.
— Même Ozanne ? demanda Isabelle, pleine
d’espoir.
— Même Ozanne, promit encore la duchesse, tout
en sachant que cette dernière appartenait à sa tante de Brabant.
La princesse de Bavière poussa un profond
soupir, puis elle se redressa avec détermination.
— Alors, puisqu’il en est ainsi, et puisqu’il
le faut, je serai reine de France, consentit-elle enfin.
*
Au même moment, Jeanne de Brabant faisait
mander Ozanne de Louvain dans ses appartements. Il n’était pas en son
pouvoir de faire reculer ces noces prématurées, mais elle saurait bien empêcher
le roi de consommer ce mariage, faisant d’elle une parjure maudite.
« Si le sang Isabelle n’a pas, qu’il se
retourne aux veines du parjure, et la veine inférieure gonfle et noue et rompt. »
La malédiction de Thadée Visconti lui revenait sans cesse en mémoire et la
terrifiait. « Et que la plaie suinte et pue et souffre… » Harcelée
par la douleur qui lui taraudait la jambe, elle la voyait déjà puer et pourrir ;
et qui voudrait d’une vieille femme pourrissante et puante ?
Car elle aimait.
Elle n’avait pas de fils, celui qu’elle aimait
avait l’âge de l’être. Il serait son héritier. Elle l’avait promis à son amant.
C’était par le Brabant qu’elle le tenait et qu’elle le gardait. Et à cause de
son Brabant, Jeanne naviguait sur le fil du couteau. Il n’y a pas de pire
situation qu’une veuve sans descendance. Son douaire excitait les convoitises
de ses voisins germaniques aux humeurs belliqueuses ; il était, d’autre
part, revendiqué par la maison de Luxembourg, dont son époux était issu ; mais
surtout, son héritière directe était sa nièce, Marguerite de Flandre, l’épouse
du puissant duc de Bourgogne. Ce dernier assurait pour l’heure la sécurité
de son duché, estimant que le Brabant lui revenait de droit. Mais Jeanne n’avait
toujours pas testé en faveur de sa nièce : elle y perdrait son amant.
Et le Hardi enrageait, sa politique d’expansion
territoriale était insatiable. Cependant, elle avait le moyen de tenir en
laisse ce grand fauve. Par l’un de ses rapporteurs qu’elle entretenait dans
toutes les cours d’Europe, elle avait acquis la preuve que le duc de Bourgogne
avait fait abréger la vie de son beau-père, le comte de Flandre, pour s’accaparer
plus vite les riches États flamands, héritage de sa femme. Devant Philippe, elle
avait fait de fines allusions à l’auteur de ce crime, une âme damnée au service
de Bourgogne : Louis de Bois-Bourdon. Ainsi, il savait qu’elle savait. Cependant,
elle se gardait bien de le pousser à bout, elle avait besoin de sa protection
et il est des secrets mortels, un fauve reste un fauve. Habilement, elle lui
laissait espérer son silence et son douaire sans s’engager plus avant, et le
caressait dans le sens du poil en faisant le jeu de sa menée matrimoniale avec
la Bavière.
La demoiselle de Louvain frappa doucement à l’huis
et la voix hargneuse de sa maîtresse l’invita à entrer. Elle esquissa une
révérence.
— Je suis à vos ordres, madame.
— Je l’espère bien, ma fille ! Il ne
faut pas laisser la reine en la puissance du roi au soir de sa nuit de noces. À
toi de le rendre impuissant. Use de tes potions, de tes maléfices, ou autres
sorcelleries, mais rends-le impuissant.
« Rendre Charles VI impuissant ! »
pensa Ozanne, qui crut que ses jambes se dérobaient sous elle.
— Madame, je ne le puis. Le roi est l’oint du
Seigneur, et toucher à sa personne est un crime devant Dieu.
— Abandonnez cette enfant au soir de ses noces
en est un autre.
— Madame, je ne saurai, supplia-t-elle encore.
— Tu sauras ! la coupa-t-elle durement, et
sois plus efficace qu’avec tes emplâtres qui ne font qu’enflammer
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