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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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lèse-majesté, biaisa Bois-Bourdon avec
componction. Elle est vôtre.
    — Elle est vôtre, répéta Charles à l’envi.
(Cette remarque le plongeait dans la béatitude.) As-tu vu ses cheveux ? De
la soie, et noirs comme jais. Et sa peau ? Fine, ambrée comme un fruit
mûr. Et ses yeux, n’a-t-on jamais vu des yeux aussi admirables ? Elle
regarde droit, avec une telle noblesse. Alors que toutes, toutes elles baissent
les paupières devant ma personne, déjà soumises. (Il lança avec agacement.)
Déjà prises !
    Il est vrai que Charles VI n’avait jamais eu
à se plaindre de la moindre résistance, de la plus petite attente. Sa beauté et
son nom faisaient immédiatement se coucher les femmes, de la plus prude à la
plus putassière.
    Bois-Bourdon se détourna, agacé par le radotage
amoureux du roi.
     
    Des cris déchirants éclatèrent. Huguet de Guisay,
qui combattait à la lutte avec son écuyer, venait de terrasser ce dernier et il
le maintenait sur le sol, lui écrasant la poitrine du genou.
    — Grâce, messire, grâce ! haletait
l’écuyer.
    — Je veux te l’entendre crier plus fort, insista
le sire de Guisay en lui broyant la poitrine de plus belle.
    Mais il ne sortit qu’un gargouillis de la bouche
grande ouverte de l’écuyer, suffoquant comme un poisson hors de l’eau. De toute
la folle jeunesse chevaleresque qui entourait le roi, Huguet de Guisay
était le plus cruel, le plus imbu de son lignage. Il se plaisait par perversité
à contraindre sous le fouet ses valets à marcher à quatre pattes, en leur
ordonnant d’aboyer.
    Le roi se mit prestement sur ses pieds, empourpré
de colère.
    — Presse donc encore, Guisay ! Tu n’as
pas trop de mal à faire crier grâce, tu prends toujours plus faible que toi.
    Sous l’injonction de son souverain, Huguet se
releva, libérant son écuyer qu’il gratifia d’un coup de pied méprisant.
    — Tous des chiens !
    — Viens, Guisay, viens donc me faire aboyer !
Viens donc me prendre, moi !
    Le roi le provoquait tout en approchant. Louis de Bois-Bourdon
ne put s’empêcher de l’admirer. Le souverain possédait encore pur cet esprit
chevaleresque qui commandait de défendre le plus faible. Cet esprit de justice et
d’équité des anciens qui, depuis, avait abandonné l’âme de la chevalerie, plus
occupée de faste et de gloire que de la protection naturelle de ses vassaux.
    — Allez, viens ! Lutte à mains nues. Le
premier qui touche la terre des épaules demande grâce.
    — Je ne saurais faire crier grâce à mon roi, dit
Guisay en se dérobant.
    Il s’inclina, la main sur le cœur. Déjà il lui
tournait le dos. Alors Charles se précipita et l’empoigna à plein torse. En
tentant de se dégager, le sire de Guisay fut contraint d’accepter la lutte.
    Il était plus petit que le roi, mais il était plus
lourd. Sa stature courte et épaisse était surmontée d’une petite tête à cheveux
roux qui n’avait pas l’air d’avoir été faite pour ce corps massif. Le roi, lui,
n’était qu’harmonie, les épaules larges où roulaient des muscles ronds qui
saillaient sous l’effort. Il était torse nu, les fesses étroites, bien prises
dans son haut-de-chausse qui moulait ses cuisses puissantes. Charles était bien
de ces princes qu’enfantent les chansons de geste, un prince qui enfante la
geste elle-même. Le peuple, qui ne s’y trompait pas, l’avait nommé le Bien-Aimé.
    Bois-Bourdon n’aimait pas le sire de Guisay
dont il connaissait la vénalité. Il se détourna des lutteurs : à un jet de
pierre de là, dans la lice à peine bornée, caracolaient deux jeunes cavaliers. La
cotte aux fleurs de lys et celle du bandé de Bourgogne désignaient le frère du
roi, duc d’Orléans, et le fils aîné de Philippe le Hardi, le comte de Nevers.
    Louis d’Orléans avait fort étonné en se présentant
sur le terrain en cuirasse et bassinet, visière rabattue. Ses maîtres d’armes
étaient accoutumés à voir le jeune prince se tenir à l’exercice juste ce qu’il
devait à son rang et à son éducation, et il mettait leur patience à rude
épreuve par ses retards ou ses absences. Ce matin-là, il était arrivé tôt, juché
crânement sur son destrier mené à la main par son page. Il affichait une morgue
provocante, promenant les armes de France avec arrogance. Louis semblait avoir
changé et vouloir en découdre.
    Il avait travaillé un moment la quintaine à
grandes chevauchées maladroites, et alors

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