Eclose entre les lys
qu’il venait de manquer un coup, il
croisa le regard d’un garçon de son âge, son cousin germain, Jean, comte de Nevers,
l’héritier de Bourgogne.
À quatorze ans, ce prince de sang ne pouvait pas
mieux se comparer qu’à un taurillon sauvage. Il en avait la noirceur de teint
et de cheveux, il en possédait la fougue aveugle. Nevers était robuste, râblé
et terriblement ombrageux. Comme ce dernier avait esquissé un sourire narquois,
Louis s’était piqué, et l’avait défié en lice. Ce défi avait fait le tour du
terrain d’entraînement et l’on avait pris des paris.
Connaissant la puissance de charge que possédait
déjà le jeune Bourgogne, et le peu d’habileté aux armes de son puîné, le roi
avait lancé lui-même un défi à son frère en plaisantant :
— Si tu lui fais vider les étriers, tu es
digne de participer aux grands tournois de mon mariage !
Ce fut une maladresse. Mortifié par l’ironie de
son aîné, le duc d’Orléans l’avait pris au mot. Quelle mouche le piquait ?
Louis était trop inexpérimenté pour concourir à ces joutes violentes et parfois
mortelles qu’étaient les grands tournois. Il n’en avait d’ailleurs jamais
manifesté ni le goût ni le désir jusque-là.
Charles VI ne prenait pas la mesure de la
jalousie de son cadet. Il était lui-même totalement dépourvu de ce sentiment, se
réjouissant bien plus des bonnes fortunes de ceux qu’il aimait. Et Charles
aimait son frère. Inquiet, il aurait bien aimé ravaler sa boutade. Mais il s’était
rassuré : Louis mordrait la poussière au premier assaut, et serait alors
dispensé de tenir sa parole malheureuse.
Le sire de Graville se leva : autour de
la lice, près des palissades à moitié dressées, chevaliers, écuyers et
damoiseaux s’agglutinaient à présent : le combat entre Orléans et Nevers
était engagé. Des voix encourageaient les deux jeunes jouteurs qui se couraient
sus dans un galop furieux.
Bois-Bourdon se retourna vers les lutteurs qui s’empoignaient
toujours. Il voulait prévenir Charles, mais il se retint car celui-ci avait l’avantage.
Arc-boutés l’un contre l’autre, Huguet reculait, pas à pas. Les deux hommes
avaient les muscles noués, luisants de sueur, ils sacraient haut et fort. Le
sire de Guisay s’effondra soudain avec un cri de rage. Gisant sur le flanc,
il se prit la jambe en grimaçant de douleur avec ostentation. Charles éclata de
rire.
— Eh bien, Guisay ! Il n’est pas besoin
de te faire toucher terre, tu y vas tout seul.
— Ne riez pas, monseigneur, la cheville a
tourné, j’ai le pied rompu.
Bois-Bourdon intervint avec ironie :
— Moi, je dirais que c’est la lutte qui vient
d’être fort heureusement rompue.
Le roi surenchérit, faussement scandalisé :
— Que me dis-tu, gentil Bourdon ? Il se
serait laissé glisser exprès ?
En provenance de la lice, une clameur horrifiée s’éleva.
Le sénéchal du Berry et le roi abandonnèrent le chevalier de Guisay à ses
simagrées, et s’y précipitèrent.
Le public s’écarta aussitôt devant Charles VI
découvrant son cousin qui se roulait sur le sol, hurlant de souffrance en se
tenant l’épaule. Le jeune duc d’Orléans paradait sur son destrier en
triomphateur, le bâton en guise de lance posé droit sur sa cuisse.
— Tu m’as pris par traîtrise, cousin, je te
revaudrai ça ! lui cria Jean de Nevers.
Louis s’approcha du roi et releva sa visière.
— J’ai gagné le droit de jouter à ton mariage,
noble frère.
— Il m’a chargé alors que ma lance s’était
brisée ! hurla de plus belle le comte de Nevers, qui se remettait sur
pied en refusant toute aide. Son bras accusait un angle curieux avec son épaule.
— Est-ce vrai ? demanda le roi à son
jeune frère.
— Aux grands tournois, je prendrai les
couleurs de la reine, rétorqua Louis d’Orléans avec aplomb.
Sur ce, il éperonna sa monture et quitta les lieux
à grand train, son écuyer courant derrière. Bois-Bourdon suivit des yeux ce
départ intempestif. La veille, le duc d’Orléans n’avait-il pas crié par deux
fois : « Je le tuerai ! » en parlant du roi ? Qu’est-ce
qui avait pu éveiller une telle ire ? La jeune Isabelle dont il venait de
se faire le champion en portant ses couleurs ? Voulait-il se faire
remarquer d’elle par quelque acte de bravoure, et était-il, lui aussi, tombé
amoureux de la princesse de Bavière, au point de s’exposer gravement ?
Un
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