Eclose entre les lys
raisons qui poussaient la Brabant à
intervenir, jusqu’à vouloir rendre le roi impuissant… la seule morale que
possédait sa maîtresse était ses propres intérêts.
Rendre le roi impuissant était un acte redoutable,
c’était un crime de lèse-majesté, elle risquait d’y perdre sa vie et son âme. Qu’en
penserait sa nourrice, sa bonne Bertrande, la seule personne de son enfance qui
l’ait tendrement aimée, si souvent consolée ? Elle lui avait appris le
secret des plantes et des charmes, et lui avait dit une fois en lisant dans les
étoiles : « Un jour, tu seras par amour d’un roi, une reine. »
Mais celle qu’elle considérait comme une mère avait disparu trop tôt, lui
laissant le mystère indéchiffrable des étoiles et un grimoire en héritage dont
elle n’avait pas toutes les clefs.
Elle se sentit soudain si seule que les larmes lui
vinrent aux yeux. Elle entendait encore sa gentille Bertrande lui dire :
« Ma petite, une personne dans ta condition n’a que deux moyens pour
survivre : son corps et sa tête ! Le corps, Dieu te l’a donné, la
tête, à toi d’y veiller. » Et elle ajoutait toujours ces trois conseils :
« Garde ta langue ; agis selon ta conscience ; et dans le doute,
prie ! » Alors Ozanne pria, elle pria longtemps avec ferveur, puis
elle se signa et ouvrit résolument la cassette qui renfermait ses poudres, ses
herbes et son grimoire. Elle savait déjà où se tiendrait le roi, qui enterrait
cette nuit sa vie de garçon : Adémard de Courtemay, qui y avait été
convié, s’en était vanté devant elle.
*
Tout heureux de ses fiançailles, Charles VI
avait quitté Isabelle le cœur léger. Il aimait, et il était aimé, il l’avait lu
dans le regard incomparable de sa fiancée. Elle était sa dame de cœur, il était
son chevalier servant, et lui devait courtisement et hauts faits de bravoure. Il
songea au glorieux dessein d’envahir le royaume d’Angleterre, décida d’en
presser le projet et de le dédier à la reine. Il ferait bonne et rude guerre
outre-mer en hommage et amour d’elle.
C’est avec l’âme de Guillaume le Conquérant qu’il
s’apprêta à passer joyeusement sa dernière nuit de jeune homme. Le grand
ordonnateur des menus plaisirs de monseigneur le roi, le sire de Bois-Bourdon, lui
avait promis des réjouissances particulières : une bachellerie royale, fête
orgiaque comme en organisent les étudiants et les chevaliers bacheliers.
Le sénéchal du Berry avait à son service un
certain Pascal le Peineux dont le prénom si catholique cachait un personnage
dangereux et retors. Le Peineux lui était dévoué jusqu’à la mort, Bois-Bourdon
l’ayant sauvé naguère du supplice de la roue en l’achetant au bailli de Paris. Après
cette grâce, il s’était fait baptiser sous le nom de Pascal, et avait fait vœu
de faire pénitence en renonçant à boire du vin jusqu’à la fin de sa vie, ce qui
lui avait valu son patronyme de « Peineux ».
Pascal le Peineux était d’une stature de colosse, d’une
force d’hercule, et son visage carré était grêlé par la petite vérole. Officiellement,
il était l’écuyer du seigneur de Graville, officieusement, il était son
homme de main et son agent de renseignements. Car le nouveau baptisé était
resté un ribaud de la pire espèce au service de son maître : rabatteur de
vierges vénales, de putains au visage d’ange, de jeunes éphèbes à la recherche
de bonne fortune, pour les « menus plaisirs » de la Cour. Il avait
aussi l’art de faire parler les secrets les plus dissimulés.
Louis de Bois-Bourdon lui avait demandé de
trouver quelque chose d’exceptionnel pour le roi. Le Peineux était entré par
usure et menace dans le bordel le plus clandestin de la capitale picarde. Établissement
de bains très bien fréquenté de jour, la nuit, il se métamorphosait en lupanar
de luxe. Ce type d’étuve n’était guère original mais celui-ci dissimulait un
arcane dont la révélation aurait fait trembler les braves gens d’Amiens et
jeter sa tenancière dans les flammes d’un bûcher.
*
La nuit était noire, l’orage s’était éloigné en
grondements sourds, le ciel nettoyé était superbement constellé. Demain, il
ferait grand beau temps. Une dizaine de silhouettes, enveloppées de capes
sombres, le visage entièrement couvert, embronché d’un capuchon, se coulaient
le long des berges de la Somme. Elles remontaient furtivement la grand-rue
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