Eclose entre les lys

aussi mortellement inquiet, d’autant
plus que les guetteurs du château lui avaient signalé des Têtes-Noires qui
rôdaient autour de Beauté : ils n’étaient donc pas tous à la citadelle de
Charenton.
    Alors que les trompes appelaient au rassemblement,
Marguerite de Bourgogne s’avisa de la présence du cardinal de Laon, dont
le visage était dévoré d’inquiétude.
    — Ils sont en forêt de Vincennes, lui
avoua-t-il d’une voix blanche.
    — Alors ils se sont perdus, ou pire, sinon
ils s’en seraient déjà revenus, conclut-elle immédiatement.
    Aussitôt, elle hurla ses ordres aux hommes d’armes
qui accouraient :
    — Prenez des torches et munissez-vous de cors
et de trompes. Nous sonnerons pour les guider et ferons force tintamarre pour
impressionner toutes mauvaises gens qui rôdent. Ma jument n’est-elle pas encore
sellée ?… Allons, que l’on se presse ! Nous partons sur l’instant.
    Un écuyer aida la duchesse à se mettre en selle à
la façon des amazones. Les flambeaux auxquels on boutait le feu firent
étinceler la fureur de son regard, elle toisa le cardinal du haut de sa monture.
    — Vous saviez et vous n’avez rien fait pour
empêcher. Dieu vous damne ! lui lança-t-elle en talonnant son cheval.
    Pierre Aycelin la regarda partir et prendre la
tête de la colonne de feux qui venait de se constituer. Pourquoi Louis et la
reine n’étaient-ils pas encore rentrés ? Le piège qu’il leur avait tendu
avait-il mal tourné ? Quant aux trois hommes de sa garde qu’il avait
lancés à leurs trousses, ils auraient dû déjà, à cette heure, lui rendre compte
du succès de sa stratégie : deux d’entre eux devaient simuler une attaque
sous la sinistre apparence de Têtes-Noires et forcer le prince à prendre la
fuite, alors que le troisième, sous les couleurs de Bavière, devait surgir
à la rescousse, mettant seul en déroute les agresseurs. Le but était d’humilier
Louis d’Orléans devant Isabelle, sans faire de mal à personne. Tourner bride
est un tel manquement au code de l’honneur de la chevalerie que Louis n’aurait plus
osé paraître de sitôt devant la reine.
    Contrairement à son attente, s’était-il défendu, refusant
de perdre la face devant Isabelle ? Avait-il pris un mauvais coup ? Laon
se perdait en conjectures, se maudissant d’avoir imaginé un traquenard aussi
douteux.
    — Seigneur mon Dieu, qu’ai-je fait ? balbutia-t-il.
Vous qui voyez au plus profond de la noirceur de mon âme, protégez ces enfants.
Gardez-les de mes détestables entreprises. Je jure sur la Croix où souffrit
Votre glorieux fils, qu’alors je renoncerai au prince.
    *
    Ozanne courait à plein galop, couchée sur l’encolure
de son cheval qui écumait sous l’effort. Elle le talonnait sans cesse :
    — Plus vite, plus vite, pour la reine !
    Et comme si le vaillant coursier comprenait, il ne
relâchait pas son train d’enfer.
    Ils avaient déjà coupé une ancienne voie romaine à
pavage, sans doute le chemin de Vincennes.
    Un carrefour était en vue… les Trois Pendus ? Elle
tournerait à dextre en priant Dieu de ne pas se tromper.
    *
    À Charenton, la nuit aussi était tombée, et Bois-Bourdon
venait d’entrer en action. Une lourde porte dérobée de l’enceinte de la
citadelle tourna silencieusement sur ses gonds bien graissés, il s’y faufila, suivi
de ses lieutenants. Tous étaient en simple broigne, mais hautement armés de
poignard, masse d’arme, dague et épée. Le sire de Graville voulait sa
force d’attaque mobile et rapide, et non alourdie d’armure.
    — Qu’en est-il ? souffla-t-il à Pascal
le Peineux, qui venait de lui ouvrir.
    — Mauvaise nouvelle. Geoffroy Tête-Noire est
sorti avec une dizaine de sa ribaudaille.
    — Quand est-il sorti ? Comment ?
    — Il y a peu, par ce même passage. Il s’en
est fallu d’un crin de cheval qu’ils m’y surprissent en train d’envoyer mon
carreau sur cette racaille.
    Il parlait des deux Têtes-Noires, gardiens de la porte,
qui gisaient de part et d’autre, une flèche plantée en plein cœur.
    — Que sais-tu de plus ?
    — Rien, sinon qu’un Tête-Noire est venu l’avertir
d’une chose qui a paru fort le réjouir. C’était un des hommes qui surveillaient
le château de Beauté.
    Le sang de Bois-Bourdon se glaça sous les mailles d’acier.
    *
    L’ombre était dense sous le couvert des bois. La
lune était cachée.
    Louis avait trouvé un sentier, une piste formée
par le