Eclose entre les lys
passage répété de bêtes sauvages, peut-être les conduirait-il vers une
avenue forestière. Ils cheminaient en silence, le son même de leur voix leur
faisait peur. Ce n’étaient que frôlements, ululements, gémissements d’agonie de
bêtes prises. Sous la cathédrale végétale, les fourrés s’animaient de vie
nocturne et de tragédies secrètes. L’humidité montait de la terre, libérant la
forte exhalaison de l’humus, des végétaux en décomposition, mêlée à la
fragrance de mycélium.
Les chevaux devenaient nerveux. Le destrier de
Louis fit un brusque écart alors qu’une ombre détalait lourdement dans un
fouillis de branches cassées et de grognements. Un sanglier.
Isabelle flatta doucement le flanc d’Alezane, le
feu de sa robe était parcouru de longs frémissements. Elle courba son buste sur
l’encolure comme elle aimait déjà à le faire, embrassant le cou de sa pouliche,
autant pour la rassurer que se rassurer elle-même de sa chaleur animale. La
princesse de Bavière songea à la figurine du roch qu’elle avait gardée
sans trop savoir pourquoi. Elle l’avait glissée dans sa ceinture avant leur
départ, ne pouvant s’en défaire. Elle s’en saisit, et la serra doucement dans
ses mains. Saint Roch avait été lui-même exilé en forêt ; saint protecteur
de la peste, il était aussi celui des proscrits et des égarés.
Elle se mit à prier ; saint Roch prit le visage
de Bois-Bourdon. C’est lui qu’elle priait, sans qu’elle en prît conscience.
*
À Charenton, l’investissement de la citadelle se
poursuivait. Le sire de Graville et ses lieutenants venaient d’égorger les
hommes de guet qui commandaient le pont-levis. Tout se faisait dans un froid
silence. Dans la grand-salle de la tour, on entendait les cris avinés des
marauds de Geoffroy Tête-Noire, et les rires aigus des prostituées. Bois-Bourdon
procédait avec rage, du sang avait rejailli sur sa broigne. Un homme se glissa près
de lui et chuchota :
— Une femme dehors vous mande. J’ai cru
devoir vous avertir, vu son urgence et son insistance.
— Comment se nomme-t-elle ?
— Ozanne de Louvain, service de la reine.
Bois-Bourdon eut alors la certitude qu’Isabelle
était en grand péril. À ce moment, un Tête-Noire surgit non loin d’eux, et se
mit à pisser contre un mur en braillant une chanson leste. Le Peineux se
détendit comme la foudre et s’en saisit ; il eut vite fait de le faire
taire en lui écrasant la bouche de son énorme main, puis le traîna tout
pantelant jusqu’à son capitaine.
— C’est le bras droit de Geoffroy, lui
souffla-t-il. Il lui a laissé la garde de la citadelle avant de sortir.
— Où est ton maître ? lui demanda
Bois-Bourdon, une lueur de meurtre dans le regard.
Le misérable, suppliant qu’on lui laissât sauve la
vie, leur apprit que Geoffroy Tête-Noire était en forêt de Vincennes, pour y
capturer deux nobles personnes du château de Beauté qui s’y étaient aventurées,
un homme et une femme.
Bois-Bourdon partit aussitôt avec quelques soldats, laissant
la prise de la citadelle à Pascal le Peineux. Avec lui, ses occupants pouvaient
recommander leur âme à Dieu, et pour commencer, l’impitoyable écuyer trancha le
cou de leur informateur.
*
Dans la forêt, les trois hommes du cardinal de Laon
désespéraient de retrouver Isabelle et le prince d’Orléans. Comme cela se fait
à la chasse pour regrouper ceux qui se sont écartés, ils décidèrent de sonner
du cor. Nul doute que les égarés se guideraient à la voix, pensant qu’ils
étaient recherchés. Les comploteurs ne se doutaient pas qu’ils allaient du même
coup faire converger sur eux la colonne de feux de la duchesse de Bourgogne,
Bois-Bourdon et sa petite troupe et, pire encore, Geoffroy Tête-Noire et ses
sbires en quête du mauvais coup qui pouvait leur rapporter gros.
Isabelle priait toujours lorsque la corne mugit ;
le son caverneux s’enfla jusqu’au cœur de la forêt, s’éteignit, reprit, gonfla,
pour s’éteindre et reprendre encore, comme un souffle profond et lugubre.
— On nous cherche, cria Louis, reprenant
espoir. Allons ! Suivons sa direction. Nous sommes sauvés.
Mais dans leur précipitation à vouloir répondre à
l’appel, ils s’embroussaillèrent dans un roncier. Leurs montures renâclèrent à
se frayer un chemin dans les taillis où ils se débattaient. Louis se mit à
tailler une trouée à grands coups d’épée. La forêt semblait
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